2012/03/26

La synthèse lucide de l'élection présidentielle

Franck Biancheri nous propose sur twitter une perspective particulièrement lucide et synthétique sur l'élection présidentielle, qui mérite d'être largement diffusée : 
"La séquence géopolitique mondiale qui s'ouvre suite à la crise place la France en position clé du fait du rôle de la France dans l'Europe et de l'Europe dans le monde (comme un ressort dans un système de poupées russes). Du fait de la crise, avec l'émergence de l'Euroland, on arrive à un tournant historique.

La politique étrangère et européenne du futur président est donc déterminante au-delà de tout autre enjeu, car c'est à partir de ce front que tout le reste peut se gagner ou se perdre : économie, social, environnement, emploi, sécurité, régulations. La France n'est jamais forte quand elle prétend écraser les faibles. C'est une France réfléchie et impliquée dans la construction de son avenir ses partenaires et voisins, à l'opposé d'une France qui recopie docilement la politique agressive des US. C'est pourquoi cette élection présidentielle est un moment crucial pour que chaque citoyen puisse influer sur notre futur commun. Alors que N. Sarkozy incarne la continuité de sa politique servile (voir la récente parution de "l'Etat blessé"), voyons ce que propose F. Hollande :
  • "L'affirmation de vouloir explorer plus avant les relations avec les autres puissance : BRICS, Amérique Latine 
  • La sortie en douceur du piège "occidentaliste" (USA / UK / IL) dans lequel Sarkozy a enfermé la France 
  • Sa volonté de renégocier ou plutôt d'ajouter un volet croissance au traité Euroland+
  • La priorité affirmée depuis des mois en matière de jeunesse, à la fois en France et dans la dimension européenne 

    F. Hollande apporte donc un réel engagement européen, et une vraie connaissance du projet européen qui remonte loin."
Au contraire, N. Sarkozy ne représente qu'une impasse insurmontable, car selon l'adage issu d'un texte de Einstein : "Aucun problème ne pourra être résolu avec la façon de penser qui l'a généré." 

Les 22 avril et 6 mai 2012, allez voter.

Et en plus, soyez des citoyens conscients et responsables des enjeux cruciaux de notre décennie (lire à ce sujet "Crise mondiale: en route pour le monde d'après - La France, l'Europe et le Monde dans la décennie 2010-2020"), et des solutions incarnées par F. Hollande pour que notre pays tienne enfin son rôle. 
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Mise à jour:
J'ai depuis publié ces autres articles en complément :

2012/03/24

US Treasury Foreign Holders: History


New official data series reflect new benchmark survey taken since June 2011, as described in the 02/29/2012 press release :
"It should be noted that in many cases it is not possible to accurately determine the country of residence of the beneficial owner of U.S. securities. Securities are often held in custody in countries other than the beneficial owner's country of residence. Respondents on this survey, in turn, may only know where the securities are held in custody. Thus, excessive foreign holdings may be attributed to countries that are major custodial centers, such as the United Kingdom, Switzerland, Belgium [EuroClear], and Luxembourg [ClearStream]." 

2012/03/18

Le Manifeste de l'Homme Indépendant, par Albert Camus

"Il est difficile aujourd'hui d'évoquer la liberté de la presse sans être taxé d'extravagance,
accusé d'être Mata-Hari, de se voir convaincre d'être le neveu de Staline.
Pourtant cette liberté parmi d'autres n'est qu'un des visages de la liberté tout court et l'on comprendra notre obstination à la défendre si l'on veut bien admettre qu'il n'y a point d'autre façon de gagner réellement la guerre.
Certes, toute liberté a ses limites. Encore faut-il qu'elles soient librement reconnues. Sur les obstacles qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, nous avons d'ailleurs dit tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore, et à satiété, tout ce qu'il nous sera possible de dire. En particulier, nous ne nous étonnerons jamais assez, le principe de la censure une fois imposé, que la reproduction des textes publiés en France et visés par les censeurs métropolitains soit interdite au Soir républicain (1), par exemple. Le fait qu'à cet égard un journal dépend de l'humeur ou de la compétence d'un homme démontre mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.

Un des bons préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en France n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un journaliste peut rester libre. Le problème n'intéresse plus la collectivité. Il concerne l'individu. 

Et justement ce qu'il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l'ironie et l'obstination.  
La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l'histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu'elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un journaliste libre, en 1939, ne désespère pas et lutte pour ce qu'il croit vrai comme si son action pouvait influer sur le cours des événements. Il ne publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela est en son pouvoir.  
En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre accepte d'être malhonnête. Or, et pour peu qu'on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s'assurer de l'authenticité d'une nouvelle. C'est à cela qu'un journaliste libre doit donner toute son attention. Car, s'il ne peut dire tout ce qu'il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu'il ne pense pas ou qu'il croit faux. Et c'est ainsi qu'un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l'on sait la maintenir. Car elle prépare l'avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l'uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu'elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu'aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge. 
Nous en venons ainsi à l'ironie. On peut poser en principe qu'un esprit qui a le goût et les moyens d'imposer la contrainte est imperméable à l'ironie. On ne voit pas Hitler, pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres, utiliser l'ironie socratique. Il reste donc que l'ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu'elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 1939, ne se fait pas trop d'illusions sur l'intelligence de ceux qui l'oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l'homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix. La même vérité dite plaisamment ne l'est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l'intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme Le Merle ou Le Canard enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l'on sait. Un journaliste libre, en 1939, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu'elles ont peu d'amants. 
Cette attitude d'esprit brièvement définie, il est évident qu'elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d'obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d'expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement en France l'effet contraire à celui qu'on se propose. Mais il faut convenir qu'il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l'inintelligence agressive, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L'obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l'objectivité et de la tolérance. 
Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu'au sein de la servitude. Et après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque Français voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu'il croit vrai et juste, s'il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l'abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait gagnée, au sens profond du mot.
Oui, c'est souvent à son corps défendant qu'un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut recommencer dans vingt-cinq ans la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc essayer une méthode encore toute nouvelle qui serait la justice et la générosité. Mais celles-ci ne s'expriment que dans des cœurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits."
[1]: Albert Camus était rédacteur en chef de ce journal publié à Alger

Cet article devait paraître le 25 novembre 1939 dans "Le Soir républicain". Il avait été censuré, et perdu. Il vient d'être retrouvé. Malgré les dates mentionnées, qui peut nier qu'il soit intemporel ? L'homme indépendant Camus s'attache à réveiller notre conscience sociale. Qu'il nous serve de repère