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2014/08/31

La guerre d'Ukraine et l'esprit des peuples

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Il est encore difficile aujourd'hui d'évoquer l’absence de liberté des grands médias occidentaux sans être taxé d'extravagance, de se voir convaincre d'être le neveu de Poutine.

Pourtant cette liberté parmi d'autres n'est qu'un des visages de la liberté tout court et l'on comprendra notre obstination à la défendre si l'on veut bien admettre qu'il n'y a point d'autre façon de gagner réellement la guerre dans laquelle ceux qui dirigent l’OTAN veulent précipiter l’Europe.

Sur les obstacles qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, Chomsky[1], Bourdieu[2], Orwell[3], de Sélys et Collon[3b], Scott[4] ou Joly[5], et d'autres encore, ont d'ailleurs précédé tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore. En particulier, le principe de la fabrication du consentement une fois imposé, le fait qu'à cet égard les sentiments des foules dépendent de l’influence délétère de bien peu, poussant à la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, démontre mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.

Un des bons préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en Occident n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un citoyen peut rester libre. Le problème n'intéresse plus les gouvernements. Il concerne la société civile et d’abord l'individu.

Et justement ce qu'il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, à l’orée ou au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l'ironie et l'obstination. 

La lucidité est le moteur de notre propre liberté

La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l'histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu'elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un citoyen libre, en 2014, ne désespère pas et lutte pour ce qu'il croit vrai comme si son action pouvait influer sur le cours des événements. S’il est auteur, quel que soit le média, il ne publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela est en son pouvoir.

Abandonner sa souveraineté, ou bien ne pas renoncer

Mais le citoyen peut aussi être un représentant de l’Etat. Les gouvernements américains et anglais ont tenté il y a 10 ans de décrédibiliser l’idéal des Nations Unies, de déshonorer tous les gardiens de notre conscience collective par le mensonge, la tromperie et l’injustice[6] en les entraînant dans la guerre en Irak, pour en être empêché in-extremis par la volonté et la voix courageuse d’un Ministre de la France[7]. Ces mêmes gouvernements tentent aujourd’hui de tirer à nouveau les ficelles pour nous précipiter dans la guerre en Ukraine, bientôt contre la Russie, en employant sans vergogne les mêmes méthodes infâmes[8]. Ils veulent cependant utiliser l’OTAN pour court-circuiter le Conseil de Sécurité de l’ONU, ayant appris de leur échec de 2003. Le sommet de l’OTAN au pays de Galles les 4 et 5 Septembre réunissant les 28 Etats membres de l’alliance n’a pas d’autre vocation que de remplacer dans l'opinion publique une résolution du Conseil de Sécurité sur l’intervention prochaine en Ukraine, qui sera précédée par des arrivées de troupes américaines dans les bases de l’Est de l’UE[9], mais aussi en Italie, en Hollande ou en Allemagne. C’est bien une réoccupation de l’Europe par l’armée américaine, les Etats européens n’ayant en réalité quittés leur statut de colonie lors des 70 années écoulées que lors de brèves parenthèses comme celle du Gaullisme. Le TTIP et les amendes récentes sur les banques européennes ne sont à cet égard que des moyens de rétablir l’imposition directe des européens, après l’imposition indirecte qui se manifeste au travers des achats de bons du Trésor américain par tous les Etats.

Quel homme trouvera le courage de marcher dans les pas de Dominique de Villepin lors du prochain sommet, et refusera par sa voix que son pays suive le chemin fatal où les Etats-Unis et la Grande-Bretagne veulent mener l’alliance ? Qui, ne cédant pas à la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, se rappellera les mots de Démocrite : le caractère d’un homme fait son destin ? Au sein de ce sommet, la lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les leurs doivent les conduire à donner la priorité au désarmement des adversaires en Ukraine, dans une paix qui ne serait pas un langage orwellien, en collaboration avec l’Union Eurasiatique.

Servir le mensonge, ou bien la liberté

En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre accepte d'être malhonnête. Or, et pour peu qu'on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s'assurer de l'authenticité d'une nouvelle. C'est à cela qu'un journaliste libre et un citoyen doit donner toute son attention. Car, même s'il ne peut dire tout ce qu'il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu'il ne pense pas ou qu'il croit faux. Et c'est ainsi qu'un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l'on sait la maintenir. Car elle prépare l'avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l'uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu'elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu'aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge.

C’est ce que nous attendons de tous les commentateurs à l’issue du prochain sommet de l’OTAN.

Chérir la vérité avec obstination

Nous en venons ainsi à l'ironie. On peut poser en principe qu'un esprit qui a le goût et les moyens d'imposer la contrainte est imperméable à l'ironie. On ne voit pas Kerry, Netanyahou, Fabius, Ashton, Iatseniouk, pour ne prendre que des exemples parmi d'autres, utiliser l'ironie socratique. Il reste donc que l'ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu'elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 2014, ne se fait pas trop d'illusions sur l'intelligence de ceux qui l'oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l'homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix dans les grandes rédactions. La même vérité dite plaisamment ne l'est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l'intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme Le Canard Enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l'on sait. Un journaliste libre, en 2014, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu'elles ont peu d'amants.

Cette attitude d'esprit brièvement définie, il est évident qu'elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d'obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d'expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement l'effet contraire à celui qu'on se propose. Mais il faut convenir qu'il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l'inintelligence agressive, l’ostracisme, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L'obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l'objectivité et de la tolérance.

Les esprits indépendants forment l'histoire

Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu'au sein de la servitude. Et après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque citoyen des pays occidentaux voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu'il croit vrai et juste, s'il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l'abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait déjà gagnée, au sens profond du mot.

Oui, c'est souvent à son corps défendant qu'un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut recommencer aujourd’hui la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc essayer une méthode qui serait la justice et la transparence, sous l’égide des Nations Unies puisque l’OTAN ne peut agir à sa place, pour conduire aux inspections, et au désarmement dans la paix. Mais la justice ne s'exprime que dans des cœurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits.

Même si finalement malgré tous nos efforts une nouvelle guerre a lieu, l’Europe étant une nouvelle fois détruite dans les années les plus terribles de sa longue histoire, il faut œuvrer dès aujourd’hui à sa future reconstruction. Cela commencera par insuffler l’esprit et le courage, et l’honneur. Les générations prochaines se souviendront alors de nos voix, retrouveront notre esprit et marcheront dans nos pas, bien après que l’OTAN aura été engloutie par l’histoire. Les peuples qui cultiveront ces valeurs ne cesseront pas de se tenir debout face à l'histoire et devant l’humanité.

Dr. Bruno Paul, d'après le manifeste d'Albert Camus.




[1] ‘La fabrication du consentement: de la propagande médiatique en démocratie’, Edward Herman et Noam Chomsky, 1988
[2] ‘Sur la télévision’, Pierre Bourdieu, 1996
[3] '1984', E.A. Blair, dit George Orwell, 1949
[3b] 'Attention Médias ! Mediamensonges du Golfe. Manuel antimanipulation', Michel Collon, 1992
[4] La politique profonde et l’Etat profond’, Conscience-Sociale.org, 03/2014
[6] a) « Discours de Colin Powell devant le Conseil de Sécurité de l'ONU », 05 février 2003 ; b) Dès 2004, les inspections américaines menées pendant la guerre s'accordent pour dire que l'Irak avait abandonné son programme nucléaire, chimique et biologique après 1991 (Iraq Survey Group Final Report, GlobalSecurity.org, 2004) ; c) « Colin Powell : comment la CIA m'a trompé », Nouvel Observateur, 03/2013
[8]Russia Invades Ukraine”, Strategic NATO Public Relations Stunt. Where are the Russian Tanks?, Global Research, 08/2014
[9] publié quelques heures après la parution de notre article: 'Europe de l'Est: l'Otan veut déployer cinq nouvelles bases', RiaNovosti, 31/08/2014

2014/06/05

Esprit, Survivance et Fraternité (l'Esprit Européen, partie 4)

L'ensemble de nos travaux serait vain si nous ne prenions pas d'abord conscience du fait décisif qui les domine : jamais l'humanité, même lors de la chute de Rome, n'a subi, en une seule génération une si profonde métamorphose. Dans le domaine de l'esprit comme dans tant d'autres, nous sommes en face d'une nouvelle civilisation. Non seulement nouvelle en face de celle du XIXe siècle, mais encore en face de toutes celles qui l'ont précédée. C'étaient les grandes civilisations agraires, et les conseillers des pharaons ou d'Alexandre étaient presque les mêmes que ceux de Napoléon. Mais si Napoléon eût pu assez facilement parler avec Ramsès des moyens de gouvernement il aurait grand mal à en parler avec le président Johnson, Staline, le Général de Gaulle ou Mao Tsé Toung.

Dans ce domaine de l'esprit, la première caractéristique de notre époque, c'est évidemment la diffusion des œuvres. Mais de façon plus complexe qu'il ne semble. Parce que les disques, les photos d’œuvres d'art, les traductions, le cinéma, la télévision, apportent la présence concrète de la première culture mondiale. L'humanité prend à la fois conscience des invincibles frontières qui la morcelaient, de l'impossible dialogue, par exemple, entre la civilisation aztèque et celle de la Chine ancienne - et des sentiments profonds qui nous unissent. Dans l'une des versions d'Anna Karénine, un metteur en scène américain, qui faisait jouer par une actrice suédoise, Garbo, le personnage illustre conçu par un romancier russe, a fait pleurer les foules de tous les continents. Chaplin a fait rire la terre entière. 

Prenons garde que ce n'est pas d'une juxtaposition des connaissances que nous sommes les premiers héritiers. Les statues africaines ou celles des hautes époques, qui entrent à côté des statues grecques dans nos musées et dans nos albums, ne sont pas des statues grecques de plus. Il ne s'agit pas de rivalité. La statue africaine n'est pas meilleure ou moins bonne : elle est autre. Elle met en question notre notion même de l'art, comme l'entrée en scène presque simultanée de toutes les cultures met en cause notre civilisation. La métamorphose apporte sa propre création. Qu'auraient eu à se dire Saint Paul et Platon ? Des injures ? Pour que leur dialogue devînt possible, il fallait que naquît Montaigne. 

Nous sommes chargés de l'héritage du monde, mais il prendra la forme que nous lui donnerons. 

C'est ici qu'entrent en jeu les grandes cultures nationales. Car, en même temps que notre siècle découvre la culture mondiale, il découvre, à sa grande surprise, le renforcement des nations. Par les grandes voix alternées de Marx et de Victor Hugo, le XIXe siècle avait proclamé la venue de l'Internationale politique. Peu après, Nietzsche annonçait : "Le XXe siècle sera celui des guerres nationales..." Partout les nations naissent ou renaissent. C'est Nietzsche qui a gagné. Mais prenons garde que les nations, dans notre siècle, ne sont plus ce qu'elles furent jadis. Le fait national est l'un des plus importants de notre temps, mais il n'est plus la base du nationalisme, il est, avant tout, un problème. [...]

Notre propre problème n'est donc nullement dans l'opposition des cultures nationales, mais dans l'esprit particulier qu'une culture nationale peut donner à la culture mondiale. Nous sommes de culture française, et entendons le rester parce que nous avons découvert la force de l'enracinement, la faiblesse de l'abstraction en ces matières. [...] 

Ce qui tient d'abord à la fonction nouvelle de la culture. Toutes les civilisations qui ont précédé la nôtre ont été des cultures religieuses, à l'exception de quelques siècles d'Occident. Pour les masses, les valeurs essentielles, le caractère exemplaire de l'homme étaient données par la foi. Pour la chrétienté entière, le type exemplaire de l'homme médiéval était le chevalier. Pour le Moyen Age, le lieu de la culture ce n'était pas la bibliothèque, c'était l'Eglise. 

La Renaissance a changé tout cela, parce que, pour un nombre d'hommes assez restreint, elle a inventé une antiquité exemplaire. Pour la Toscane de Laurent le Magnifique, l'antique n'est pas, comme pour nous, une civilisation parmi d'autres, l'objet d'une interrogation : l'antiquité, c'est Plutarque; le monde de Périclès, d'Alexandre et de César, où Néron glisse comme une ombre. Surtout, le monde des penseurs qui nous ont transmis une des plus nobles images de l'homme. C'est en ce temps que le mot culture a pris le sens que nous lui donnons encore. La Renaissance ne fut nullement anti-chrétienne. Son objet, ce fut d'unir Socrate et Bernard de Clairvaux, le sage et le saint, le héros et le chevalier. Ce qu'elle attendait du passé qu'elle ressuscitait, au temps où la chrétienté perdait sa puissance de cathédrale, c'était la défense de ses propres valeurs. 

Nous aussi. Mais de façon plus dramatique, parce que nos valeurs sont beaucoup plus menacées. 

Elles le sont d'abord parce que notre civilisation est une civilisation agnostique. Pour la première fois, le cosmos et l'homme sont irréductiblement dissociés. Nous connaissons mieux que tous nos prédécesseurs les lois de l'univers; mais à l'univers d'Einstein, l'homme n'est pas nécessaire, sauf pour le concevoir. Notre univers pourrait très bien se passer de l'homme. Nous le connaissons mieux qu'on ne l'a connu avant nous; mais quelle relation établissons-nous entre les lois de la matière et ce que nous révèle la psychanalyse ? 

Voici donc, pour la première fois, une civilisation que ses rêves frôlent ou possèdent et qui n'ordonne pas ses rêves. On a beaucoup dit que la machine excluait les rêves, ce que tout contredit. Car la civilisation des machines est aussi celle des machines à rêves, et jamais l'homme ne fût à ce point assiégé par ses songes, admirables ou défigurés. Mais jamais une pareille soumission à l'infantilisme n'aura proposé à tous les hommes de la terre un peuple de rêves qui ne signifient rien au-dessus de quinze ans. Les rêves n'ont pas d'âge ? Ils peuvent appartenir à une enfance qui est le pôle secret de la vie, ou à une enfance qui en reste le balbutiement. Pour la première fois, les rêves ont leurs usines, et pour la première fois, l'humanité oscille entre l'assouvissement de son pire infantilisme et La Tempête de Shakespeare. 

C'est pourquoi ce que tentent nos Maisons de la Culture, et ce que d'autres, dans d'autres pays, commencent à tenter après elles, a tant d'importance. Chaque civilisation a connu ses démons et ses anges. Mais ses démons n'étaient pas nécessairement milliardaires et producteurs de fictions. Quant aux anges, nous savons ceci. Tôt ou tard, l'usine de rêve vit de ses moyens les plus efficaces qui sont le sexe et le sang. Et une seule voix est aussi puissante que celle des instincts fondamentaux : celle de la survivance, que l'on appelait jadis l'immortalité. 

Pourquoi ? Nous l'ignorons, mais nous le constatons. Devant Le Cid, devant Macbeth, devant Antigone, nous découvrons que ce qui s'oppose au plus agissant langage des instincts, ce sont les paroles qui ont triomphé des siècles. L'oeuvre la plus puissamment basse ne prévaut pas contre l'écho de ce que la petite princesse thébaine disait au pied de l'Acropole : "Je ne suis pas venue sur la terre pour partager la haine, mais pour partager l'amour". 

La culture, c'est ce qui permet à notre civilisation de lutter contre ces usines de rêves ce qui permet de fonder l'homme l'Homme lorsqu'il n'est plus fondé sur Dieu. Ainsi sa fonction dans notre civilisation apparaît-elle clairement. Et avec elle l'absurdité du problème qui se pose depuis cinquante ans, celui de la rivalité des cultures vivantes. Il est sans intérêt de chercher si nous devons préférer la culture française à l'anglaise, l'américaine, l'allemande ou la russe. Parce que nous pouvons connaître - nous devons connaître - d'autres cultures que la nôtre; mais nous ne les connaissons pas de la même façon. Le colonel Lawrence disait par expérience que tout homme qui appartenait réellement à deux cultures (dans son cas, l'anglaise et l'arabe) perdait son âme. Pour atteindre la culture mondiale - ce qui veut dire, aujourd'hui, pour opposer aux puissances obscures les puissances d'immortalité - chaque homme se fonde sur une culture, et c'est la sienne. Mais pas sur elle seule. 

Nous avons vu les grandes nations, l'une après l'autre, donner aux grandes religions une forme particulière : le catholicisme devenir anglican, ou le bouddhisme indien devenir japonais. Encore le christianisme est-il d'abord devenu romain et chacune des grandes civilisations occidentales est-elle devenue grecque à sa manière. Je crois que pour maintes nations la culture française est en train de jouer le rôle médiateur que joua jadis la culture grecque. 

Ici se présente l'une des plus saisissantes aventures de l'esprit que notre siècle ait connues, celle de l'entrée des cultures africaines dans la civilisation universelle. Avec sa sculpture, sa danse, sa musique, l'Afrique a pris conscience de ses propres valeurs. On sait désormais que les Ancêtres ne sont pas des fétiches. Et il se trouve que ces valeurs fondamentales que le président Senghor proclame comme celles de la Négritude sont exprimées principalement par des Africains de culture française. Nous assistons à une puissante symbiose afro-latine. L'indépendance retrouvée, je la crois viable, pour les mêmes raisons qui rendirent viable la symbiose gallo-romaine. La Gaule s'est accordée à Rome en un temps où Rome était devenue universaliste. Or, si la culture française n'est pas la première culture du monde, où un temps où il n'y a plus de première culture du monde, elle est sans doute la plus universaliste. Il y a des peuples qui ne sont jamais plus grands que lorsqu'ils se replient sur eux-mêmes : l'Angleterre de Drake et de la bataille de Londres. Et il y en a d'autres qui ne sont grands que lorsqu'ils le sont pour tous les hommes. Sur toutes les routes de l'Orient, il y a des tombes de chevaliers français; sur toutes les routes de la Révolution, il y a des tombes de soldats français. Et sans doute est-ce à cause de la Révolution française que notre culture exprime mieux que d'autres les valeurs profanes qui ont succédé aux valeurs chrétiennes - ce qu'un Africain, et non un Européen, a nommé "l'appel de l'homme à l'homme, les grands besoins élémentaires de justice, de fraternité et d'amour". Peut-être est-ce en liaison avec les Etats-Unis que l'Afrique exprimera le plus puissamment, par la musique, son émotion et son malheur; mais c'est certainement à travers la culture française qu'elle exprime le plus puissamment sa liberté. 

Enfin, il existe un continent dont je ne parlerai que pour finir, puisqu'il n'est pas de langue française : c'est l'Amérique Latine. Il nous révèle de façon éclatante nos propres valeurs. Là nous voyons à quel point le lien entre la culture française et la Révolution française (qui se réclame tellement des écrivains !) a eu d'action sur le monde. Je me souviens de ma visite du petit musée de Puebla. Le conservateur, un instituteur mexicain, me parlait de son affection pour la France. Or, les murs étaient couverts de fresques qui représentaient les combats entre les troupes de Juarez et les zouaves de l'expédition du Mexique. Je marquai donc ma surprise : "Mais ça n'a aucune importance, dit-il, dans nos écoles, on apprend par coeur une dizaine de textes courts. Parmi eux, il y a la lettre de Victor Hugo à Juarez, écrite pendant les combats : Si vous êtes vainqueur, Monsieur le Président, vous trouverez chez moi l'hospitalité du citoyen; si vous êtes vaincu, vous y trouverez l'hospitalité du proscrit." Tous les petits indiens connaissent cette phrase. Pour eux, c'est la France. 

Je compris alors pourquoi, en Amérique latine, la révolution russe n'a pas effacé la nôtre; et pourquoi notre culture y est encore si vivante. Parce qu'une culture n'est pas seulement un ensemble de connaissances, mais aussi l'organisation d'une sensibilité, une transmission et une recréation des valeurs, un héritage particulier de la noblesse du monde. 

Et c'est, avant tout, une volonté. J'ai écrit jadis : la culture ne s'hérite pas, elle se conquiert. Ce qui doit nous unir, c'est l'objet de cette conquête. Nous avons vu, devant le monde africain, l'attitude américaine et l'attitude russo-marxiste. Nous ne voulons pas, à l'heure actuelle, d'un héritage américain ni russe. Pas davantage français. Mais nous voulons que la culture française retrouve en nous tous ce qui fit sa grandeur passée, la confiance en tous les hommes qu'elle a marquée par sa longue traînée d'espoir révolutionnaire, de tombeaux et de cathédrales. Il y a dix ans que j'ai proclamé, au nom de mon pays, devant l'Acropole illuminée : la culture ne connaît pas de nations mineures, elle ne connaît que des nations fraternelles. Tous ensemble, nous attendons de la France l'universalité, parce qu'elle seule s'en réclame. 

Messieurs, en ce temps où l'héritage universel se présente à nos mains périssables, il m'advient de penser à ce que sera peut-être notre culture française dans la mémoire des hommes, lorsque la France sera morte; lorsque, "au lieu où fut Florence, au lieu où fut Paris - S'inclineront les joncs murmurants et penchés"... Je pense qu'elle ne sera pas très différente de ce qu'elle est dans le coeur de l'instituteur de Puebla. Et qu'on trouvera quelque part une inscription semblable aux inscriptions antiques, qui dira seulement : En ce lieu naquit, un jour, la culture de la fraternité. 

(A. Malraux, 1901 - 1976 ; discours, 28 septembre 1968)

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Liens vers  les autres parties du thème l'Esprit Européen:
Partie 1
Partie 2
Partie 3
Partie 4 (cet article)
Partie 5
Partie 6

Sortir de la nuit (l'Esprit Européen - partie 3)

Une fois de plus, la nuit grecque dévoile au-dessus de nous les constellations que regardaient le veilleur d'Argos quand il attendait le signal de la chute de Troie, Sophocle quand il allait écrire Antigone - et Périclès, lorsque les chantiers du Parthénon s'étaient tus... Mais pour la première fois, voici, surgi de cette nuit millénaire, le symbole de l'Occident. Bientôt, tout ceci ne sera plus qu'un spectacle quotidien ; alors que cette nuit, elle, ne se renouvellera jamais. Devant ton génie arraché à la nuit de la terre, salue, peuple d'Athènes, la voix inoubliée qui depuis qu'elle s'est élevée ici, hante la mémoire des hommes : « Même si toutes choses sont vouées au déclin, puissiez-vous dire de nous, siècles futurs, que nous avons construit la cité la plus célèbre et la plus heureuse... »

Cet appel de Périclès eût été inintelligible à l'Orient ivre d'éternité, qui menaçait la Grèce. Et même à Sparte, nul n'avait, jusqu'alors, parlé à l'avenir. [...]

Le génie de la Grèce a reparu plusieurs fois sur le monde, mais ce n'était pas toujours le même. Il fut d'autant plus éclatant, à la Renaissance, que celle-ci ne connaissait guère l'Asie ; il est d'autant plus éclatant, et d'autant plus troublant aujourd'hui, que nous la connaissons. Bientôt, des spectacles comme celui-ci animeront les monuments de l'Égypte et de l'Inde, rendront voix aux fantômes de tous les lieux hantés. Mais l'Acropole est le seul lieu du monde hanté à la fois par l'esprit et par le courage.

En face de l'ancien Orient, nous savons aujourd'hui que la Grèce a créé un type d'homme qui n'avait jamais existé. La gloire de Périclès - de l'homme qu'il fut et du mythe qui s'attache à son nom - c'est d'être à la fois le plus grand serviteur de la cité, un philosophe et un artiste ; Eschyle et Sophocle ne nous atteindraient pas de la même façon si nous ne nous souvenions qu'ils furent des combattants. Pour le monde, la Grèce est encore l'Athéna pensive appuyée sur sa lance. Et jamais, avant elle, l'art n'avait uni la lance et la pensée.

On ne saurait trop le proclamer : ce que recouvre pour nous le mot si confus de culture - l'ensemble des créations de l'art et de l'esprit -, c'est à la Grèce que revient la gloire d'en avoir fait un moyen majeur de formation de l'homme. C'est par la première civilisation sans livre sacré, que le mot intelligence a voulu dire interrogation. L'interrogation dont allait naître la conquête du cosmos par la pensée, du destin par la tragédie, du divin par l'art et par l'homme. Tout à l'heure, la Grèce antique va vous dire :

« J'ai cherché la vérité, et j'ai trouvé la justice et la liberté. J'ai inventé l'indépendance de l'art et de l'esprit. J'ai dressé pour la première fois, en face de ses dieux, l'homme prosterné partout depuis quatre millénaires. Et du même coup, je l'ai dressé en face du despote. »

C'est un langage simple, mais nous l'entendons encore comme un langage immortel.

Il a été oublié pendant des siècles, et menacé chaque fois qu'on l'a retrouvé. Peut-être n'a-t-il jamais été plus nécessaire. Le problème politique majeur de notre temps, c'est de concilier la justice sociale et la liberté ; le problème culturel majeur, de rendre accessibles les plus grandes oeuvres au plus grand nombre d'hommes. Et la civilisation moderne, comme celle de la Grèce antique, est une civilisation de l'interrogation ; mais elle n'a pas encore trouvé le type d'homme exemplaire, fût-il éphémère ou idéal, sans lequel aucune civilisation ne prend tout à fait forme.

Les colosses tâtonnants qui dominent le nôtre semblent à peine soupçonner que l'objet principal d'une grande civilisation n'est pas seulement la puis­sance, mais aussi une conscience claire de ce qu'elle attend de l'homme, l'âme invincible par laquelle Athènes pourtant soumise obsédait Alexandre dans les déserts d'Asie : « Que de peines, Athéniens, pour mériter votre louange ! » L'homme moderne appartient à tous ceux qui vont tenter de le créer ensemble; l'esprit ne connaît pas de nations mineures, il ne connaît que des nations fraternelles. La Grèce, comme la France, n'est jamais plus grande que lorsqu'elle l'est pour tous les hommes, et une Grèce secrète repose au coeur de tous les hommes d'Occident. Vieilles nations de l'esprit, il ne s'agit pas de nous réfugier dans notre passé, mais d'inventer l'avenir qu'il exige de nous. Au seuil de l'ère atomique, une fois de plus, l'homme a besoin d'être formé par l'esprit. Et toute la jeunesse occidentale a besoin de se souvenir que lorsqu'il le fut pour la première fois, l'homme mit au service de l'esprit les lances qui arrêtèrent Xerxès. Aux délégués qui me demandaient ce que pourrait être la devise de la jeunesse française, j'ai répondu « Culture et courage ». Puisse-t-elle devenir notre devise commune - car je la tiens de vous.

Et en cette heure où la Grèce se sait à la recherche de son destin et de sa vérité, c'est à vous, plus qu'à moi, qu'il appartient de la donner au monde.

Car la culture ne s'hérite pas, elle se conquiert. Encore se conquiert-elle de bien des façons, dont chacune ressemble à ceux qui l'ont conçue. C'est aux peuples que va s'adresser désormais le langage de la Grèce ; cette semaine, l'image de l'Acropole sera contemplée par plus de spectateurs qu'elle ne le fut pendant deux mille ans. Ces millions d'hommes n'entendront pas ce langage comme l'entendaient les prélats de Rome ou les seigneurs de Versailles ; et peut-être ne l'entendront-ils pleinement que si le peuple grec y reconnaît sa plus profonde permanence - si les grandes cités mortes retentissent de la voix de la nation vivante.

Je parle de la nation grecque vivante, du peuple auquel l'Acropole s'adresse avant de s'adresser à tous les autres, mais qui dédie à son avenir toutes les incarnations de son génie qui rayonnèrent tour à tour sur l'Occident : le monde prométhéen de Delphes et le monde olympien d'Athènes, le monde chrétien de Byzance - enfin, pendant tant d'années de fanatisme, le seul fanatisme de la liberté.

Mais le peuple « qui aime la vie jusque dans la souffrance », c'est à la fois celui qui chantait à Sainte-Sophie et celui qui s'exaltait au pied de cette colline en entendant le cri d'Oedipe, qui allait traverser les siècles. Le peuple de la liberté, c'est celui pour lequel la résistance est une tradition séculaire, celui dont l'histoire moderne est celle d'une inépuisable guerre de l'Indépendance - le seul peuple qui célèbre une fête du « Non ». Ce Non d'hier fut celui de Missolonghi, celui de Solomos. Chez nous, celui du général de Gaulle, et le nôtre. Le monde n'a pas oublié qu'il avait été d'abord celui d'Antigone et celui de Prométhée. Lorsque le dernier tué de la Résistance grecque s'est collé au sol sur lequel il allait passer sa première nuit de mort, il est tombé sur la terre où était né le plus noble et le plus ancien des défis humains, sous les étoiles qui nous regardent cette nuit, après avoir veillé les morts de Salamine.

Nous avons appris la même vérité dans le même sang versé pour la même cause, au temps où les Grecs et les Français libres combattaient côte à côte dans la bataille d'Égypte, au temps où les hommes de mes maquis fabriquaient avec leurs mouchoirs de petits drapeaux grecs en l'honneur de vos victoires, et où les villages de vos montagnes faisaient sonner leurs cloches pour la libération de Paris. Entre toutes les valeurs de l'esprit, les plus fécondes sont celles qui naissent de la communion et du courage.

Elle est écrite sur chacune des pierres de l'Acropole. « Étranger, va dire à Lacédémone que ceux qui sont tombés ici sont morts selon sa loi... ». Lumières de cette nuit, allez dire au monde que les Thermopyles appellent Salamine et finissent par l'Acropole - à condition qu'on ne les oublie pas ! Et puisse le monde ne pas oublier, au-dessous des Panathénées, le grave cortège des morts de jadis et d'hier qui monte dans la nuit sa garde solennelle, et élève vers nous son silencieux message, uni, pour la première fois, à la plus vieille incantation de l'Orient : « Et si cette nuit est une nuit du destin - bénédiction sur elle, jusqu'à l'apparition de l'aurore ! ».

(A. Malraux, 1901 - 1976 ; Hommage à la Grèce, 28 mai 1959)

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Liens vers les autres articles de cette série:
Partie 1
Partie 2
Partie 3 (cet article)
Partie 4
Partie 5
Partie 6

2014/05/12

Combler le vide politique : Elections, Europe, mémoire et esprit politique


Combler le vide politique 


Elections, Europe, mémoire et esprit politique 

En guise de réponse au détestable silence de la télévision de "service public" sur l'Europe, François Hollande nous gratifie d’un court article paru le 8 Mai : « l’Europe que je veux ». Il nous semble important de mettre en évidence certains points de fuite qui auront échappé à la totalité des commentateurs. 

Ce message sur les Elections Européennes de notre Président, repris mot pour mot par le Premier Ministre hier soir au JT de TF1, est volontairement trop tardif. C’est une évidence institutionnelle de l’escamotage du débat politique sur la France et en France, sur l’Europe et en Europe et par extension : sur l’Occident et en Occident

Notre Président y fait appel à notre mémoire et à notre volonté politique. Ce sont les deux marches que nous allons utiliser à notre tour, mais avec la bonne perspective historique. En effet, savoir pour qui et pour quoi voter le 25 mai pour les élections européennes est la question qui tue, comme les massacres en Ukraine en sont le terrible rappel. C’est pourquoi 60 % des Français (un record) se disent intéressés par ces élections. Mais si 59 % refusent toute sortie de l'euro, c’est la confusion qui règne dans les esprits, même chez les leaders de la société civile. C’est à l’éclaircissement de ces deux questions : pour quoi ? pour qui ? que nous voulons contribuer. Il s’agit de clairement mettre les mots sur notre plus grand mal actuel : le vide politique dans les pays européens, entrelacé à notre vide stratégique

De quoi le 8 mai est-il le souvenir? 

Si cette « victoire fut celle de la liberté », qu’en reste t’il aujourd’hui ? Comment expliquer que cette « liberté » puisse justifier dans la bouche de nos représentants les actes atroces commis en Ukraine, consentis sinon soutenus aujourd’hui tout en étant rejetés par les mêmes quand il s’agit de parler de la Shoah? 

Une seule explication est possible : cette liberté n’en est plus une. Depuis la fin de la parenthèse gaulliste, la France a subi l’érosion de son indépendance, et de ses voix les plus éclairées. Chaque européen doit se poser cette question vis-à-vis de l’histoire de son pays depuis la deuxième guerre mondiale. 

Le 8 mai 1945 n’a décidément pas « conjuré l'un des plus grands dangers qui aient jamais menacé l'humanité. » Si dans l’esprit de notre président, comme dans le nôtre, ce danger s’appelle fascisme, alors il faut rappeler les actes caractérisant la superpuissance états-unienne: la proximité [1] et le soutien depuis les années 1920 des mouvements nazis [2] ou groupes parafascistes [3] dans de très nombreux pays [4] et dernièrement en Ukraine [5]. 

Citons en particulier l’Opération PaperClip de récupération des Nazis allemands dans l’appareil militaro-industriel à la fin de la guerre mondiale, ainsi que les réseaux d’insurrection Gladio (Stay-behind) dans toute l’Europe [6] – la tuerie en 2011 d’Anders Behring Breivik près d’Oslo en Norvège [7], et le dernier coup d’Etat en Ukraine nous rappelant que ces réseaux dormants existent encore bel et bien de nos jours dans nos pays européens. 

Rappelons aussi que l’état profond des Etats-Unis, état policier, n’a pas d’alliés : ils n’a que des serviteurs qu’ils espionnent en masse jusqu’au plus haut niveau des Etats, sans que nos leaders politiques n’en frémissent. Belle liberté que nous avons gagnée en vérité ! 

Le mobile de l’Histoire 

Non, à la différence d’Hitler le fascisme et le néonazisme ne sont pas morts, pour une raison historique restée oubliée trop longtemps : dès le départ, le développement de ces idéologies réactionnaires a été soutenu financièrement par des grands banquiers et magnats de l’industrie [2], qui ont aussi usé de leur influence dans les médias pour créer un système de confrontation avec le courant politique marxiste lequel connaissait une expansion mondiale. Cette manœuvre politique sans précédent à cette échelle planétaire repose sur un principe d’escamotage analysé dès 1932. [8] En voici le résumé : 

Dans chaque pays, le nouveau système politique doit créer un équilibre par la confrontation entre les dialectiques marxistes et fascistes. Placées aux extrêmes de l’échiquier politique, la progression de cette confrontation vise à vider le centre politique, et à entretenir une illusion. 

Prenons une image : l’ensemble formé par deux lourdes barres en métal visées dans un petit morceau de bois en étant diamétralement opposées peut tenir en équilibre. L’équilibre des forces reste le même si le poids de chaque barre est concentré à son extrémité : c’est le centre qui est vidé. 

Allons plus loin encore : cet ensemble peut maintenant être mis en équilibre sur la pointe d’une aiguille, placée sous le centre du morceau de bois. Ainsi l’ensemble peut se même se mettre à tourner autour de l’aiguille. Ce mobile décrit précisément le système politique occidental depuis le XXème siècle: alors que toute la sphère politique est obnubilée par la confrontation avec l’autre extrême, personne ne se rend compte que tout tourne en fait autour de la petite aiguille, en dessous, là où se trouvent les artisans de cette politique profonde.
Ce sont eux qui peuvent par leur action facilement déterminer l’orientation de l’équilibre politique visible. Et le vrai débat politique, celui qui organiserait la confrontation dialectique avec ceux qui ont le vrai pouvoir, reste complètement escamoté, invisible de tous pendant des décennies. Comment les électeurs pourraient-ils maintenant s’étonner que le parti soi-disant dominant, qu’il soit de droite ou de gauche, ne change rien à la situation? Pour conclure: la seule dialectique politique efficace à notre époque ne doit pas être droite contre gauche, mais d’abord citoyens et société civile contre artisans de l’Etat profond. Parce qu'avant le choix d'une politique d'orientation, il faut regagner notre liberté.

Décider ou être poussé dans le dos ? 

Dans ce système d’influence invisible, on comprend mieux pourquoi les chaines de télévision ont voté Front national pour l’Election européenne, et pourquoi le gouvernement est si timide dans cette campagne où « il s'agit, ni plus ni moins, de décider du sort de notre continent, de son rôle dans le monde, du modèle de société que nous voulons promouvoir. » Notre analyse nous fait dire que beaucoup d’influence a été utilisée pour que le Front National obtienne le plus haut score possible dans cette élection. Celle-ci n’aura pas d’effet direct sur les lois nationales puisque les prérogatives du Parlement Européen sont très faibles et ses députés frileux comme nous l’avons déjà dit. Il s’agit d’utiliser le séisme médiatique causé en France pour instiller la peur et faire passer ensuite des lois et traités atlantistes, comme le TTIP: si l’Europe pouvait être bientôt assimilée à un Parlement d’extrême-droite, il serait facile de faire accepter aux citoyens qu’on ne peut que «choisir» de se rapprocher d’un bienveillant et protecteur « grand frère américain ». 

Dans les démocraties occidentales, la liberté des citoyens c’est surtout de se faire duper, et celle des partis d’être instrumentalisé par des procédés dont l’origine leur échappe dans les profondeurs de l’histoire. 

Les conditions de la volonté souveraine

Dans ces conditions, on comprend que la première priorité que l’on doit attendre d’une élection n’est pas d’abord l’expression d’une volonté (fusse-t’elle celle du Président) mais bien celle des conditions pour pouvoir exprimer cette volonté. 

Ces conditions sont pour nous les suivantes, puisque la volonté authentique ne peut pas naître sans indépendance dans les actes et dans les pensées : 
  • La France doit retrouver l’indépendance de sa politique étrangère. Elle doit donc commencer par sortir de l’OTAN. Aucun traité à trahir, juste une lettre à envoyer comme le fit le général de Gaulle; 
  • La France doit retrouver ses valeurs. Le chemin sera long mais il commence sur celui de Damas. La France doit présenter ses excuses pour ses erreurs stratégiques en Syrie, en Lybie, en Ukraine, en Afghanistan et vis-à-vis de l’Iran; 
  • La France doit retrouver l’indépendance de sa diplomatie. Elle doit donc condamner catégoriquement tous les actes d’espionnage des Etats-Unis, démonter l’installation de la NSA sur le câble sous-marin à Toulon ; 
  • Le gouvernement de la France doit retrouver la confiance de ses citoyens et protéger leurs libertés. Il doit donc dénoncer tous les « partages d’informations de masse » avec la NSA et le GCHQ, renoncer à l’article 20 de la LPM, déployer des nouvelles infrastructures plus résilientes (par exemple rejoindre l’internet des BRICS) ; il doit aussi assurer une revue entièrement transparente du TTIP avec la société civile. Par exemple en aucun cas des intérêts corporatistes ne peuvent prévaloir sur les Etats en cas de litige. Aucun standard européen ne peut être diminué. Aucun OGM introduit, etc ; il doit aussi retirer toute machine à voter (qui sont à juste titre interdites en Allemagne). 

Ceci vaut pour la France, mais aussi pour l’Europe si on y ajoute : 
  • le désaveu du Service pour l’Action Extérieure de la Commission Européenne, et demande expresse de le cantonner à exécuter seulement les décisions prises par le Conseil Européen, en restreignant fortement son autonomie ;
  • la demande du retrait de toutes les troupes militaires américaines stationnées en Europe et ses territoires d’Outre-Mer. 

Voilà sur quel esprit chaque parti devrait se prononcer explicitement avant les élections. Sans l’établissement de ce socle préalable qui dépasse tous les clivages traditionnels droite-gauche, tout débat sur la construction européenne et le « Progrès » reste une vaine illusion. 
Cela permettrait aux électeurs d’effectuer un premier tri et de faciliter grandement le choix du « pour qui ». 
Et pour ceux qui après réflexion préfèrent l'abstention, ils choisissent donc de sortir du système politique actuel. Ils devraient aller au bout de leur logique et acheter avec leur euros des pièces d'or, ou adhérer à un système de monnaie locale (SEL). 

Vers une stratégie Euro-BRICS 

Sur le « pour quoi », ensuite: cet esprit d’indépendance permettra à la France, à l’Euroland, et à l’Europe de décider dans quelle stratégie s’engager. 
Notre préférence va logiquement à soutenir le développement des relations Euro-BRICS, parce que c’est la voix la plus porteuse dans la crise du système monétaire international, actuellement dans sa phase terminale. Le débat sur sortir ou non de l’euro n’a pas de sens si on ne répond pas d’abord à cette question brûlante. Nos préconisations sont donc : 
  • Affirmation du rôle positif pour l’Europe des récentes annonces de l’établissement du clearing en Yuan à Londres et à Francfort;
  • Affirmation de la volonté de tout mettre en œuvre pour que la France intègre dès que possible le nouveau système monétaire et financier en construction, en commençant par le souhait de faire entrer la France comme membre de la nouvelle Banque Mondiale de Développement initiée par les pays BRICS ;
  • Affirmation du rôle moteur qu’entend jouer la France parmi les pays de la zone euro avec ce programme, dans la seule ambition de créer de nouvelles synergies et un mouvement positif en levant les blocages existants ;
  • Affirmation de la volonté de la France de jouer désormais un rôle leader dans la définition et l'instauration rapide des nouvelles régulations bancaires, contre l'évasion fiscale, et notamment aussi concernant une union bancaire européenne la plus efficace possible ;
  • Développement d’une nouvelle stratégie visant à redynamiser les relations de la France avec les pays BRICS ; annonce d’une tournée diplomatique des leaders européens dans chaque capitale des pays BRICS. 

A partir de là, il s’agira pour chacun de se mettre humblement à la tâche de combler nos vides. 


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[1] Robert Parry, 'Secrecy & Privilege: Rise of the Bush Dynasty from Watergate to Iraq', The Media Consortium, 2004. 

[2] a) The Guardian, 09/2004 ; b) Antony C. Sutton, 'Wall Street and the Rise of Hitler', G S G & Associates Pub, 1976 ; voir aussi cette interview du Pr. Sutton.

[3] Peter Dale Scott, ‘Transnationalised Repression; Parafascism and the U.S.’, Lobster magazine, Issue 12, 1986. 

[4] Salon.com, 03/2014 ; Pour un aperçu des crimes de guerre commis depuis 1945, voir Jeremy Kuzmarov, 'Bomb After Bomb: US Air Power and Crimes of War From World War II to the Present', The Asia-Pacific Journal, Vol 10, Issue 47, No. 3, November 19, 2012. 

[5] Global Research, 03/2014. 

[6] Flux RSS des archives du département ISN à l'Institut Fédéral Suisse de Technologie à Zurich sur les réseaux Gladio ; Interview du Dr Ganser (12/2005) ; Documentaire de la BBC (06/1992). 

[7] Global Research, 08/2011. 

[8] J’ajouterai la référence dans un mois. Le lecteur qui la retrouvera dans l’intervalle gagne mon estime ! 


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Mise à jour:
2014/5/14: ajout de la référence 2 b)

2014/03/25

L’age d’or de notre ère est l’age de l’or

[english translation is here]

Vers un nouveau système monétaire international, Partie 2.


Nous avions commencé en janvier 2013 par établir la nécessité de résoudre le problème du système monétaire international, et sa priorité absolue.[1] 

Nous avons ensuite proposé en mai 2013 une stratégie permettant de préparer concrètement la résilience indispensable pour supporter le changement de système monétaire international.[2] Les diverses annonces officielles au cours des mois écoulés ont largement confirmé que cette anticipation était partagée.[3] 

La synthèse de cette stratégie a été à nouveau exprimée par Laurence Brahm le 21/10/2013: 
"Il ne s’agit pas de la suppression intégrale de l’ancienne architecture financière de Bretton Woods mais plutôt de la création d’une nouvelle structure parallèle à l’ancienne. A terme, les pays pourront choisir quelle architecture convient davantage à leurs propres plans de reconstruction et de rénovation." [4] 
L'âge d'Or (Zucchi)
Cette semaine de mars 2014 voit une nouvelle étape se franchir. Il ne s’agit rien de moins que de s’orienter d'ici 2015 entre la redite de la conférence de Vienne en 1815 (le Concert des Nations) ou celle de Yalta en 1945 (la Guerre Froide) qui entérinera les « nouvelles règles du jeu dans les relations internationales »[5]. 

En effet cette semaine en Europe un grand nombre de réunions bilatérales se précipitent: 
  • Le Président Xi avec le Premier Ministre des Pays-Bas, M. Hollande, Mme Merkel, puis à la Commission Européenne [6] 
  • Le Président Obama avec le Président Xi, et étend son déplacement à la dernière minute pour rencontrer les chefs d’Etat des Pays-Bas, d’Italie, de Belgique, des Emirats, de Corée du Sud, du Japon, puis une audience avec le Pape à Rome et une rencontre avec le roi d’Arabie Saoudite.[7] Sans oublier une rencontre prévue avec MM Barrosso et Van Rompuy [8] 
  • La réunion du G7 en marge du Nuclear Security Summit 2014 
  • Et d’autres rencontres bilatérales plus ou moins officielles et préparées entre d’autres chefs d’Etat qui vont profiter de leurs venues au Nuclear Security Summit 2014 
Officiellement il s’agit surtout de parler de la crise en Ukraine et en Crimée, ou de signer quelques contrats. Les communiqués publics en feront mention. 

Nous pensons que d’autres sujets bien plus importants, et liés, seront discutés: ceux relatifs à l'actuelle réorganisation du nouveau système monétaire et financier international.[8.1]

Montant des réserves des banques centrales étrangères en Bons du Trésor US conservées par la Fed; (Sources: St Louis Fed ; Conscience-Sociale.org)

Notre analyse est bien que la crise ukrainienne a été déclenchée par l’Etat profond américain en préparation de l’instauration de cette prochaine organisation.[9] Il s’agit de retenir l’UE dans la zone de domination des USA.[9.1] 

Le moment est venu de préciser ce que nous entendons par nouveau système monétaire et financier international. 
Nous pensons qu’il s’agit non seulement de former ce qui est déjà annoncé: 
  • Une Banque de développement des BRICS parallèle à la Banque Mondiale 
  • Un fonds commun de stabilité parallèle au FMI 
  • Des partenariats pour les échanges bilatéraux en parallèle de l’OMC 
mais d’aller beaucoup plus loin encore. 

Tout d’abord la Banque de Développement des BRICS devient désormais une « banque initiée par les BRICS pour le développement de toutes parties intéressées », et dont la gouvernance est ouverte à tout Etat désirant adhérer.[9.2] 

Ensuite, et c’est le plus novateur: il s’agit de créer une autre institution parallèle à la Banque pour les Règlements Internationaux (BRI / BIS)
Celle-ci est la plus ancienne institution financière internationale, et entièrement gouvernée par l’Occident (les 6 membres permanents et fondateurs sont les banques centrales de Belgique, France, Allemagne, Italie, U.K. et USA, qui peuvent avoir un double poids de vote – l’analogie avec les réunions d’Obama cette semaine n’est pas un hasard [10]) 

La BRI est la banque centrale des banques centrales, c’est-à-dire qu’elle organise et supervise les échanges entre elles… et notamment ceux concernant l’or physique. Les activités sur la régulation financière (les règles des comités de Bâle), beaucoup plus connues, ont été ajoutées bien plus tard, quand l'existence de cette banque est devenue publique alors qu'elle était gardée secrète depuis sa création.[10.7]

Le premier problème à régler pour la refondation du système monétaire et financier international n’est pas vraiment le choix d’une nouvelle monnaie. Ceci n’est qu’un moyen. Il s’agit avant tout d’assurer la stabilité des prix et le développement du commerce international. Sans cela, la seule alternative c’est la guerre sans fin pour les ressources qui seront de plus en plus rares. Il faut donc bien séparer le problème d'une monnaie de référence pour le commerce international, de celui d'une monnaie de réserve pour les banques centrales.

La dislocation géopolitique mondiale à la suite de la crise de 2008 a tranché le nœud gordien: il n’est plus besoin de prendre une décision pour l’ensemble des pays (ce qui a bloqué cette réforme depuis de longues années [10.6]). Désormais ce sont les pays BRICS qui ont l’initiative et la volonté d’avancer. Cette volonté est le facteur essentiel comme nous l’avons écrit: [10.9]
Le contexte géopolitique mondial est caractérisé avant tout par un basculement: déclin de l’empire Américain d’un côté et montée de l'initiative multipolaire des pays BRICS de l’autre. Parce qu’ils manquent cruellement d’autonomie de décision et de volonté, l’UE et le Japon se retrouvent ballottés par cette lame de fond de l’Histoire. 
Le choix est fait depuis plusieurs années: le commerce international sera basé sur l’or.[10.3] 
Comment cela va-t-il se passer en pratique ? Pas avec des bateaux ou des camions chargés de lingots, bien sûr. Il a fallu organiser comme nous le disions une « BIS-bis » qui puisse gérer une chambre de compensation pour les règlements (settlements) en or physique, et surtout lui adjoindre un ingrédient fondamental: permettre à nouveau les règlements du commerce international des marchandises au moyen de « Real Bills » (ou Gold Bills), comme préconisé par la Nouvelle Ecole Autrichienne d’Economie et les travaux du Pr Fekete.[10.4] Ceux-ci sont des effets réels de commerce (ou lettres de crédit ou billets à ordre) payables à échéance en or physique, et dont l'émission est strictement limitée par les commandes reçues. Ils permettent de multiplier la vélocité de la monnaie, sans aucun risque d’inflation.[10.1] 

On est très loin d’un simple standard « 100% or ». 

L’or est la seule monnaie (l'argent métal est côté en parité flottante par rapport à lui) comme tout le monde le savait depuis des millénaires. Aujourd’hui la plupart des gens l’ont confusément oublié, mais pas les banquiers centraux occidentaux qui ont essayé pendant un siècle de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.[10.8] En nous trompant, ils se sont trompés eux-mêmes et se sont mis à croire à leurs propres fariboles. Un échec historique et d'ampleur planétaire. Hélas, hélas, c'est un échec de l’esprit européen. Il faudra le reconnaître pour trouver sous nos pieds l’impulsion nous permettant de remonter de ce cimetière marin.[10.2] 

Les pays BRICS n’ont pas nécessairement besoin de l’Occident pour mettre en route ce système.[10.5] Rappelons ce qu’il remplace: les devises en dollar et les Bons du Trésor US (US Treasury) à la base des fameux « pétrodollars » sont remplacés par les effets de commerce réels (Gold Bills) qui vont permettre d’acheter du pétrole par exemple.[11] C'est la fonction de monnaie d'échange pour le commerce international.
Mais ces Bons du Trésor ont aussi une fonction de revenu puisqu’ils procurent un rapport lié à leur taux d’intérêt à moyen ou long terme - c’est d’ailleurs un défaut mortel de ce système. Il s'agit ici du problème de la monnaie de réserve pour les banques centrales.

Le nouveau système propose très astucieusement de découpler ces deux fonctions. La fonction de revenu pourra être apportée (le moment venu) par l’introduction d’obligation-or (gold bond), c’est-à-dire d’obligations libellées en masse d’or, qui produit un intérêt versé en masse d’or et dont le principal est remboursable en masse d’or (donc pas une simple obligation adossée à un collatéral or, et libellée en monnaie fiduciaire - ou gold backed bond). Là aussi, il faut une institution pour assurer l’émission de ces obligations. 

Remarquons que pour démarrer, il n’est pas du tout indispensable de remplacer les devises nationales fiduciaires par des pièces d’or. Les effets réels vont circuler en parallèle des devises, et la confiance des utilisateurs de ces devises se reflétera en temps réel dans le prix local de cette devise mesurée en mg d’or (c’est-à-dire l’inverse du 'prix de l’or' mesuré dans cette devise, qui est la vision habituelle que l’on a – une perception totalement fausse puisqu’on ne peut pas mesurer la longueur d’une barre avec un élastique: on doit faire l’inverse). D’où l’importance fondamentale de ne pas avoir de marché de l’or truqué comme actuellement à New York et Londres.[12]


Prix du dollar U.S. en mg d'or fin
(Sources: St Louis Fed; LBMA; Conscience-Sociale.org)

Les USA n’ont aucun moyen pour empêcher les BRICS de lancer ce système parallèle, concurrent de celui des US Treasury, et qui condamne définitivement l’attraction de ces dernières.  

Il ne reste alors aux décideurs américains (c’est-à-dire l’Etat public et l’Etat profond) que les possibilités suivantes comme nouvelles règles du jeu, puisqu'ils sont dos au mur [12.2]: 
  • soit accepter la cohabitation ouverte de deux systèmes parallèles, avec 100% des acteurs qui savent que le système dollar ne peut être concurrentiel (donc très rapidement un seul système qui perdure et tous les avoirs en US Treasury qui partent en fumée). Pudiquement cela s’appelle la « restructuration des actifs du marché des obligations américaines ». C’est le chemin de Vienne en 1815.[12.1] 
  • soit ne pas accepter cette cohabitation ouverte, c’est-à-dire refermer la porte pour se retrancher derrière et bâtir un mur le plus haut possible pour que personne ne puisse s’échapper de la zone Dollar. Pour que cette zone puisse durer le plus longtemps possible (tout en étant condamnée d'avance à cause de la déflation), il faut qu’elle soit la plus grande possible, et l’UE est donc une proie bien tentante (avec les réserves d'or qui lui restent) et très facile grâce aux gouvernements et à une Commission Européenne atlantistes et qui suivent docilement les intérêts de l’Etat profond américain. Il s’agit donc de leur faire signer le TTIP le plus vite possible, qui les convaincra rapidement de ne pas rapatrier leur or et d’abandonner l’euro (deux monnaies dans la zone US-UE, c’est une de trop) puisqu’ils ont déjà abandonné leur souveraineté. C’est la voie de Yalta en 1945. [12.3] 

La prochaine fois que vous croisez votre Président ou votre Premier Ministre, vous savez maintenant quelle bonne question lui poser: qu’a-t'il choisi à notre place et qui est censé tous nous engager?
Les pays BRICS tendent la main aux peuples Européens depuis 2009, et nos gouvernements leur affichent jusqu'à présent un dédain sans nom, préférant les ombres du monde d'avant.[13] Mais il n’est pas encore trop tard pour penser à notre place dans l'Europe et dans le monde, il reste quelques petits mois et le billet peut se prendre dès cette semaine. Hâtez-vous ou repentez-vous.

Ce qui se discute en ce moment en aparté est pourtant l'affaire de tous, et va nous engager pour bien longtemps. Ne subissez pas sans comprendre.


An error doesn't become a mistake until you refuse to correct it.
(O.A. Battista, 1917-1995)

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[1] ‘La crise écologique globale exige une refonte du système monétaire international’, Conscience Sociale, 01/2013 ; cet article se situait dans la continuité de la question fondamentale posée en 2011: 'How to replace the world trade reference currency’, Conscience Sociale, 06/2011

[2] a) ‘Vers un nouveau système monétaire international - partie 1’, version FR ou EN, Conscience Sociale, 2013 ; b) les prémices de cette stratégie se trouvent dans la conclusion de l'article de 2012: 'La géoéconomie des Bons du Trésor US', Conscience Sociale, 12/2012

[3] a) ‘China, Europe Agree on Currency Deal’, TheTrumpet.com ; b) ‘China's planned crude oil futures may be priced in yuan’, Reuters ; c) ‘India to resume paying Iran in Euros’, India Times ; d) ‘PBOC Says No Longer in China’s Interest to Increase Reserves’, Bloomberg ; e) ‘China’s central government has reportedly approved 12 new free trade zones, including ones in Tianjin and Guangdong’, The Diplomat ; f) ‘Harbinger: 23 countries begin setting up swap lines to bypass dollar’, The Examiner ; g) ‘FMI: La réforme de l'institution reste bloquée par Washington’, Les Echos ; h) ‘Dollar-based system is inherently unstable - The culprit is the dollar’, Financial Times ; i) ‘A Shanghaï, Pékin s'offre un laboratoire des réformes’, Le Monde ; j) ‘La banque de développement et le FMI des BRICS sont nés’, L’Express ; k) ‘Shanghai Free-trade Zone to lead on yuan reform’, South China Morning Post ; l) ‘IMF Quota and Governance Reform: Political Impulse Needed for Progress on Reform Process’, CIGI ; m) ‘South Korea, Australia ink US$ 4.5 billion currency swap agreement’, Sovereign Wealth Fund Institute ; n) ‘BRICS Bank: Caution is a good policy’, India&Russia Report ; o) ‘G20 regrets IMF reforms delay, India says can't wait for long’, Industan Times ; p) ‘Медведев: особую экономическую зону в Крыму будет курировать Козак’, RBC Daily ; q) 'Gold trading to open up to foreigners in Shanghai', SCMP, 03/2014 ; r) 'Russia without dollar - what are the risks?', pravda.ru, 03/2014

[4] a) ‘Les Brics veulent en finir avec l’extrémisme des marchés financiers’, RIA Novosti ; b) article original: ‘БРИКС положит конец рыночному фундаментализму’, RBC Daily 

[5] a) R. Cohen, ‘International Politics: The Rules of the Game’, Longman Group United Kingdom, 1982 ; b) Le Président Xi déclare ainsi cette semaine: "China is firmly committed to ... building a new model of major country relations", Reuters, 03/2014

[6] Le Parisien, 03/2014 

[7] The Guardian, 03/2014 

[8] Conseil Européen, 24/03/2014 

[8.1] Ne pas ignorer par exemple: a) 'Did Russia Just Move Its Treasury Holdings Offshore?', WSJ, 03/2013 ; b) 'Emerging Markets central banks sell US government bonds', Financial Times, 03/2014

[9] a) ‘La crise ukrainienne, un événement de la politique profonde’, Conscience Sociale, 03/2014 ; b) Pour la définition précise du terme 'Etat profond' voir 'La politique profonde et l’Etat profond (deep politics and the deep State)’, Conscience Sociale, 03/2014

[9.1] 'Escalade dans la réaction de survie des États-Unis: déclencher une guerre froide pour mieux annexer l’Europe', Global Europe Anticipation Bulletin n°83, 03/2014

[9.2] 'The Way Forward for the Brics New Development Bank', All Africa, 03/2014

[10] Obama et Cameron ont préparé cette réunion la semaine dernière: whitehouse.gov, 03/2014 

[10.1] Les Real Bills expirent au bout de 91 jours maximum.


[10.3] 'Building a strong economic and financial security barrier for China - Actively build and implement national gold strategies', In Gold We Trust, 09/2013

[10.4] Pour plus de détails sur ce fonctionnement, on pourra lire sa très récente annonce 'Gold Bills Payable in Gold Sovereigns', A.E. Fekete, 03/2014; Sur la distinction entre Real Bills et Gold Bills: entretien du Pr. Fekete avec Daily Bell, 03/2014

[10.5] L'ensemble formé par les BRICS est déjà suffisamment autonome: 'Sanctions effect: Russia to change its economic partners…for the better', Russia Today, 03/2014

[10.6] 'U.S. Dollar, Euro, Renminbi as invoicing currencies in international trade and as reserve currencies - A bibliography', Conscience Sociale

[10.7] Créée en 1930, son existence n'a été publiquement dévoilée qu'en 1977. Notons aussi que d'après les statuts le terrain de l'immeuble de la BIS n'est pas soumis aux lois suisses. La police ou l'armée ne peuvent y rentrer. Voir aussi 'Tower of Basel: The Shadowy History of the Secret Bank that Runs the World', Adam LeBor, PublicAffairs, 2013

[10.8] 'Bernanke Tells Congress: I Don't Really Understand Gold', Forbes, 07/2013 ; Mais ils ont reconnus eux-mêmes être au bout du rouleau : voir Conscience Sociale, 08/2013

[10.9] 'Focus' in Global Europe Anticipation Bulletin n°83, 03/2014

[11] Notons à ce sujet que les pays BRICS ont capitalisé sur l’expérience acquise par les achats de pétrole iranien en or par l’Inde, au travers de banques turques. Comme quoi l’embargo injuste décrété par l’Occident s’est révélé être une faiblesse qui allait entraîner d’énormes conséquences. L’Histoire est friande de ce genre d’ironie. Voir a) WSJ, 02/2014 ; b) Foreign Policy, 02/2014

[12] a) 'Sun Zhaoxue: The United States Intends To Suppress Gold To Ensure The Dollar’s Dominance',  In Gold We Trust, 01/2014 ; b) L'origine de cette stratégie remonte loin dans le temps. On peut citer par exemple: 'Minutes of Secretary of State Kissinger’s Principals and Regionals Staff Meeting, Washington, April 25, 1974', in FOREIGN RELATIONS OF THE UNITED STATES, 1973–1976, VOLUME XXXI, FOREIGN ECONOMIC POLICY, DOCUMENT 63 ; c) 'La Manipulation du Prix de l’Or', 24hgold, 09/2008 ; d) 'Barclays, Deutsche Bank Accused of Gold Fix Manipulation', Bloomberg, 03/2014 

[12.1] 'What the world needs is “19th century behavior', Russia in Global Affairs, 03/2014

[12.2] 'L'implosion du marché COMEX et la dé-américanisation du monde’, Conscience Sociale, 10/2013

[12.3] 'L'Union européenne: la nouvelle URSS', Vladimir Boukovski

[13] 'La dérive néo-conservatrice de la politique française', Agile Démocratie, 03/2014 

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Dernière édition: 10/4/2014, 8:43