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2013/01/25

La crise écologique globale exige une refonte du système monétaire international

 J’ai commencé depuis quelques semaines à rédiger un essai sous licence CC qui exposait les premiers résultats de l’approche transdisciplinaire que j’ai menée. Sa raison d’être est de contribuer aux réponses à la crise écologique globale. Comme je l’ai écrit en 2010 (ainsi que Dupré et Griffon en 2008), la crise systémique actuelle n’est qu’un des symptômes de cette crise ultime. J’écris ultime à dessein : cette crise sera dépassée ou renverra l’humanité dans un tel état de délabrement que toute ambition de libération de l’homme sera définitivement évanouie, tout comme sa propre humanité. En effet, pour résumer la situation en quelques mots simples : les études les plus poussées ont montré que notre planète ne pourra tout simplement pas nourrir et abreuver la population mondiale prévue en 2050, et pour certaines régions du monde dès 2030, dans les conditions actuelles des relations internationales. Les pertes humaines d’une nouvelle guerre comme celle de 1939-1945 (65 millions de victimes) ne changeraient rien à la situation globale. C’est une limite absolue induite par les répartitions dans l'espace et le temps entre la population, les moyens techniques, les ressources disponibles (matières premières et énergétiques). On consultera en priorité à ce sujet L. Brown « Plan B » plusieurs éditions ; D. Dupre, M. Griffon « La planète, ses crises et nous » 2008 ; et les références Agrimonde et MEA citées dans mes articles sur la crise écologique globale et la politique alimentaire internationale

Les voies menant à un progrès technique décisif sont interdites : c’est la crise scientifique (cf Ref. 1). La seule voie de sortie satisfaisante pour l’humanité passe par une refondation des relations internationales. Or celles-ci sont actuellement bloquées sur son point le plus fondamental : la réforme du système monétaire international. Si cette réforme n’est pas complètement menée à bien dans les 5 ans à venir, alors les soubresauts de la crise écologique globale imposeront ensuite une adaptation de la population mondiale aux ressources disponibles, malgré les naissances. Cela veut dire au final des centaines de millions de morts non naturelles, davantage encore tant que l’énergie disponible par habitant diminuera par épuisement, et un contrôle draconien des naissances dans les pays qui pourront l’organiser. Moins de rendement agricole, moins d’eau pour les cultures, moins de possibilités d’innovation technique et davantage de migrations incontrôlées des populations. Ce déclin de civilisation face à une crise écologique a déjà été historiquement analysé de manière très fouillée (cf J. Diamond, « Collapse », 2005). Nous connaissons donc toutes les terribles conséquences, étape par étape de cette voie d’un déclin par paliers brutaux. 

Il faut rajouter à ces facteurs celui d’une catastrophe écologique. L’étude de référence Millenium Ecosystem Assessment de l’ONU qui a rassemblé 1300 experts de 95 pays s’est aussi intéressée aux effets des futures catastrophes écologiques (Breakdown in Ecosystem Services). Un des 4 scénarios investigués (Order From Strength) indique une probabilité de 70% pour la survenue d’un accident écologique soudain et catastrophique qui toucherait 1 million de personnes, 40% de probabilité pour 10 millions de victimes, et 10% de probabilité pour 100 millions de victimes (MEA “Ecosystems and Human Well-Being”, volume 2 Scenarios, p.139). Un exemple de ce type de catastrophe serait par exemple la fusion d’un cœur de réacteur de centrale nucléaire, suivie d’un accident de criticité au sein du corium fondu, et d’une dernière explosion qui diffuserait dans l’environnement notamment des dizaines de kilos de plutonium produit lors du fonctionnement normal du réacteur, parmi les substances les plus toxiques. 

Comment imaginer un instant que notre sens de l’humanité, notre nature, resterait intact au travers d’un tel déclin qui déclencherait les pires instincts, même pour les populations des rares pays épargnés? Aucune nation ne peut espérer s’enfermer dans une forteresse et oublier que le reste du monde s’entretue. Ce futur, celui de nos enfants, se détermine de nos jours. Nous savons donc que c’est notre responsabilité dès aujourd’hui. Nous avons déjà argumenté que ne pas agir revient à faire un choix, négatif. Il n’existe pas de position neutre ou en retrait sur les décisions vis-à-vis de notre devenir collectif. Il ne s’agit pas pour autant de dire que « Soit vous faites partie de la solution, soit vous faites partie des freins ». Nous aurons l’occasion d’y revenir dans une prochaine analyse sociologique, plus fine. 

La voie recommandée par de nombreux auteurs ces dernières années (J. Diamond « Collapse » 2005 ; J. Rifkin « Une nouvelle conscience pour un monde en crise » 2010 ; F. Lenoir « La guérison du monde » 2012 ; J. de Rosnay « Surfer la vie » 2012) se limite à proposer de changer soi-même avant tout. Je pense qu’il faut y voir deux moments bien distincts: celui où la volonté de changer spirituellement se manifeste par un désir d’ouverture, par une recherche de supplément de concepts non formés (le terreau dont je parlais dans l'article pour les découvreurs) ; et celui de la création d’idées fécondes, d’un nouveau paradigme, ce qui est d’une toute autre teneur. Une nouvelle conscience est un préalable, mais ce n’est pas une solution. 

Seuls de rares auteurs ont tenté d’aller plus loin dans les propositions de solution : L. Brown « Plan B » plusieurs éditions; D. Dupré, M. Griffon « La planète, ses crises et nous » 2008 ; J. Rifkin « La troisième révolution industrielle » 2011 ; et dans la mesure de scénarios contrastés limités aux ressources agricoles, l’étude Agrimonde de 2010. Examinons les.

L’étude Agrimonde a produit sur cette base deux scénarios agricoles et alimentaires normatifs, visant à nourrir la planète de manière soutenable en 2050. Le scénario de rupture AG1 est basé sur des conditions beaucoup plus proches de la réalité actuelle, notamment sur l’évolution des rendements et des surfaces agricoles. L’une des conclusions principales est qu’AG1 nécessite impérativement une coopération internationale accrue sur les échanges de produits agricoles et la régulation de ce marché. Cette hypothèse est aussi centrale dans les solutions esquissées par Brown, Dupré et Griffon. Mais elle n’est pas conforme au constat de dislocation géopolitique mondiale que l’on a anticipé à la suite des travaux précurseurs du Laboratoire Européen d’Anticipation Politique, et que tout le monde constate aujourd’hui comme une des conséquences historiques de la crise systémique globale. Cette coopération internationale, tout comme le régime de garantie des droits afférents sont majoritairement portés au niveau des institutions internationales. Or " la garantie des droits interroge la nature et la légitimité des pouvoirs " (G. Massiah « Une stratégie altermondialiste », 2011). La dislocation géopolitique mondiale qui est en cours affaiblit les instances onusiennes. Elles sont le plus souvent impuissantes à garantir les droits, au bénéfice de la loi du plus fort et des justices à deux vitesses. L’inégalité de l’accès au droit s’aggrave. 

Les dernières pistes proposées par Rifkin (2011) prennent bien en compte cette continentalisation, pour reprendre un terme né en Europe qu’il utilise dans son dernier livre, par opposition à la mondialisation. Il estime aussi nécessaire de « mettre Adam Smith à la retraite », et identifie donc ce volet de la crise scientifique actuelle. Il propose également des solutions de production « latérale » d’énergie, par les citoyens.

A ma connaissance on ne connait pas encore de solution industrielle pour la pile à combustible, ou encore  le stockage prolongé et sécurisé de l'hydrogène dans les matériaux, c'est une barrière forte (bien que l'européen Mc Phy Energy s'attaque sérieusement à ce sujet). Pour le solaire photovoltaïque dispersé sur chaque maison: quel est le coût écologique de fabrication, de distribution et de recyclage des équipements individuels, et leur efficacité? Rifkin n'apporte pas à ce stade de démonstration que ce modèle latéral est la solution la plus viable pour la transition énergétique. Sa vision concernant l'effet latéral est intéressante, mais appliquée à la production et distribution d'énergie est-ce le bon paradigme ? Je ne le vois pas argumenter sur ce point qui est crucial. Pour séduisante qu’elle soit, rien ne prouve que l’énergie totale produite par ces générateurs suffise pour la planète en 2050. Créer de toutes pièces une nouvelle filière énergétique suffisamment efficace, maîtrisée et durable requiert sans nul doute une nouvelle percée en physique fondamentale ; c’est ici que nous sommes confrontés au blocage par cet autre volet de la crise scientifique.

D'autres modèles de production un peu plus centralisés (municipaux par exemple) mais sans nucléaire sont tout à fait possibles à plus ou moins long terme suivant leur maturité, et certaines réalisables immédiatement: les générateurs de vapeur solaires utilisant la technologie de solaire thermique à concentration par exemple, qui bénéficient d'effet d'échelle qui rendent la solution économiquement très intéressante, ou bien les générateurs/récupérateurs d’énergie à zéolithes (système de combustion CREDO par exemple).

Il nous paraît opportun de citer les dispositifs électrochimiques utilisant  les réactions nucléaires à faible énergie (LENR - par exemple le réacteur de Piantelli) dont l'enseignement est présent depuis 2012 à l'université MIT (videos) et fait l'objet de réguliers congrès scientifiques internationaux (vidéos du dernier congrès en Corée sous l'égide de l'initiative Energy, Environment, Water, and Sustainability, vidéos du colloque au CERN en mars 2012), ou le CIHT de l'américain BlackLightPower. Ces derniers bien que séduisants sont des solutions très lentes à maturer :
  • dans la communauté académique - qui a créé son propre lieu de débat (ou bien ici), 
  • dans les médias dominants, y compris les journaux de vulgarisation - pour lesquels la "fusion froide" reste sauf exception un tabou, 
  • et à développer à l'échelle industrielle : l'article précurseur de Fleischman et Pons date par exemple de 1989, et Fleischman est décédé en août 2012.

Enfin, Rifkin se limite à envisager des solutions d'auto-suffisance énergétique par continent. Mettre en place un nouveau système économique autarcique continentalisé ne prend son sens que quand on résout comment le système fonctionne à ses interfaces entre les zones économiques et monétaires: bref, supporter la continentalisation va de pair avec une refonte du système monétaire international puisque c’est lui la clé de voûte des échanges. Cette pièce manque. 

Que l’on ne s’y trompe pas : les propositions de Rifkin peuvent fort bien servir de locomotive à des décideurs qui veulent aller de l’avant, et produire un effet d’entraînement. Leur valeur est déjà immense rien qu’en cela. Mon propos est d’en montrer certaines limites et comment envisager de les dépasser. 

Si la « croissance verte » est un simulacre d’idée pour la résolution de la crise écologique globale, la proposition de retour à la spiritualité est un constat d’absence d’idées : c’est un ensemble de concepts non formés, un préalable. C’est à ce vide que je me suis attaqué. Cependant, je me suis lancé dans ce projet d’essai tout en sondant la réceptivité de ma sphère sociale sur ces orientations. En réponse, je dois rester lucide et tenir compte du constat que le moment n’est pas encore arrivé pour l’accueil de ces idées de nouvelle conception des relations internationales, orientées en priorité autour d’un objectif commun : les solutions pour résoudre les tensions actuelles associées à celles pour pouvoir s’engager ensuite dans la résolution de la crise écologique globale. Cette double projection, le long terme donnant davantage de sens au moyen terme et donc aux priorités stratégiques des agendas, ne rencontre pas l’écho suffisant. Le terrain n’est hélas pas encore prêt. 

Pour être plus en accord avec la capacité de réception, je segmente donc mon projet de publication d’un essai en concentrant mon anticipation politique sur la première étape chronologique de ma feuille de route : la refonte du système monétaire international, dans la continuité d’une partie de mes articles (cf Refs 2, 3, 4, 56). C’est le nœud gordien vers où sont actuellement dirigées toutes les attentions des décideurs, témoin en est la crise émergente au Japon. C’est le cadre de mon prochain article à paraître en mars, avec en perspective les inévitables conséquences sur les USA, un prolongement qui n’apparaît pas encore à l’esprit des analystes (cf Ref 7).

MAJ le 28/01 :
Ajout dans l'article de compléments sur les nouveaux dispositifs de production d'énergie les plus porteurs du mouvement "free energy", dont les multiples lieux de débat se développent justement en réaction à la crise scientifique dans le milieu académique. Dans les multiples initiatives proposées par ce mouvement il faut trier soi-même les bons concepts des approches plus farfelues, mais cela fait partie du débat et de l'appropriation collective.

MAJ le 31/01 :

MAJ le 03/06 :
J'ai contribué les 23 et 24 mai au 4ème séminaire Euro-BRICS organisé par le L.E.A.P./E2020 et l'Université MGIMO de Moscou, qui a réunit des participants de haut niveau des pays ou organisations suivants: Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, zone euro (France, Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Belgique), Commission Européenne.
Mon intervention s'intitulait "Vers un système monétaire international résilient aux crises systémiques", et se situe dans la parfaite continuité de ce que j'expose dans cet article. Je publierai bientôt le texte de cette intervention.
A signaler également:
"He called on both sides to deepen cooperation in areas such as financial supervision and regulation, macro policies and improvement of capital market system, and beef up coordination and cooperation within international financial institutions including the International Monetary Fund and the World Bank, in a bid to jointly promote the establishment of a new international financial order featuring fairness, justice, inclusiveness and orderliness."

2012/12/22

Les réseaux Euro-BRICS comme réponse à la crise scientifique

 Le Laboratoire Européen d'Anticipation Politique (LEAP) vient de publier la synthèse du troisième séminaire Euro-BRICS, organisé en partenariat avec l'Université MGIMO de Moscou (site en russeMGIMO UniversityInternational programs), ainsi que les recommendations à destination des décideurs politiques notamment du G20. Ce séminaire a réuni des intervenants de plusieurs pays de la zone euro (France, Allemagne, Belgique, Portugal, Pays-Bas) ainsi que de Russie, Chine, Brésil, Inde, Afrique du Sud. Voici le contenu du document en français et celui en anglais

Concrétisation de la vision élaborée par le LEAP et Franck Biancheri sur la construction dès à présent du monde de demain qui ne doit pas se réaliser sans les citoyens, ces séminaires sont un moment privilégié pour la société civile, au delà de l'établissement des réseaux et des programmes communs, de réunir les éléments permettant une anticipation politique représentative de notre monde multipolaire, lequel se renforce au quotidien. Si le moyen est une collaboration ouverte pour comprendre les facettes culturelles et tendances de fond qui façonnent actuellement le monde de demain, l'enjeu est aussi de proposer des outils et des clés de décision pour les représentants politiques, et pour les citoyens. C'est donc aussi un effort de vigilance concerté, aussi bien pour les uns que pour les autres. C'est nourrir la réflexion commune, contribuer à construire ensemble la route, car les seules choses écrites à l'avance ce sont celles dans lesquelles nous ne impliquons pas.

J'ai eu l'opportunité de présenter à cette occasion une intervention lors du thème "Vers le développement de réseaux thématiques Euro-BRICS, dans le domaine scientifique et technologique", dont voici ci-dessous le texte intégral. Elle se situe dans le prolongement de ce que j'ai déjà publié au sujet de la crise scientifique : Une théorie et un homme en crise; et La démocratie scientifique comme réponse à la crise scientifique


Les réseaux Euro-BRICS comme réponse à la crise scientifique.

Madame la Présidente, Monsieur l’Ambassadeur, Chers collègues, Mesdames, Messieurs,

Je souhaite cibler mon intervention en argumentant pourquoi la création ou le renforcement de réseaux  Euro-BRICS est un élément crucial pour sortir dans un élan commun de la crise, prise ici dans toutes ses dimensions.
L’effet accélérateur de cette crise met en évidence la conjonction avec une profonde crise scientifique. J’ai ainsi souhaité m’appuyer sur un rapide constat effectué dans trois disciplines scientifiques, choisies parmi les plus porteuses pour notre avenir : la cosmologie;  l’économie ; et enfin le développement de nouvelles sources d’énergie.

I/ Concernant la cosmologie

Il faut tout d’abord bien comprendre l’intérêt majeur de cette discipline pour l’humanité. Pour ne prendre que la civilisation européenne, depuis Ptolémée, Galilée, puis Newton, Einstein, les révolutions dans le domaine de la cosmologie ont énormément d'influence culturelle sur tous les peuples. En particulier, c'est parce que ces révolutions vont de pair avec une refonte de la physique fondamentale, et en résumé de la conception géométrique de l’univers. Par ce biais, la compréhension de l'infiniment grand et lointain nous éclaire en retour sur l'infiniment petit et proche. De manière simplifiée, cette révolution se propage ainsi de la physique la plus mathématique à la cosmologie, à la physique des particules puis à la maîtrise conceptuelle des interactions présentes à ces échelles, c’est à dire les sciences expérimentales; puis à la technologie qui vient outiller ces manipulations conceptuellement maîtrisées.

En 1997, l’astrophysicien Jean-Pierre Petit publiait « On a perdu la moitié de l’univers »  dans lequel il détaillait les limites, impasses et contradictions extraordinairement profondes du modèle cosmologique dit « standard », associé à la théorie dite des cordes.

En 2006 Lee Smolin a publié « Rien ne va plus en physique ! » [2].
Ce livre retrace trois décennies de ce qu'on pourrait qualifier de recherche forcenée menée par des milliers de chercheurs pour tenter de donner un nouveau souffle à la physique théorique. Il existait à ce jour plus de 100 000 publications dans le domaine de la théorie des cordes !
Smolin met en évidence :
  • d’une part que cette théorie n’a encore jamais apporté le moindre résultat ou prédiction concrète ; mais aussi que cette théorie n’est pas scientifiquement réfutable. Il n’existe pas d’expérience accessible qui puisse prouver ses prédictions (ou bien en utilisant 1 million de milliard de fois l’énergie du LHC, dont les équipes au CERN ont découvert récemment le boson de Higgs).
Pour Smolin en particulier cette démarche de réfutabilité est incontournable. Pour les partisans de la théorie des cordes, elle est simplement dépassée. Ils proclament par exemple comme justification "si ça n'est pas vrai, au moins c'est beau". Avec ces gens la science s’est perdue dans la simple esthétique.
  • D’autre part qu’un résultat fondamental publié en 1992 [3], et base de presque tous les travaux postérieurs dans cette discipline, n’était pas utilisé de manière mathématiquement correcte, et remet en cause l’intérêt de la quasi-totalité des travaux effectués depuis lors.

Alain Connes, médaille Fields, a ainsi écrit dans la préface : 
« Il y a là un réel problème, car la science n'avance pas sans confrontation avec la réalité. Il est parfaitement normal de laisser du temps à une théorie en gestation pour se développer sans pression extérieure. Il n'est pas contre pas normal qu'une théorie ait acquis le monopole de la physique théorique sans jamais la moindre confrontation avec la nature et les résultats expérimentaux (...). Il n'est pas sain que ce monopole prive des jeunes chercheurs de la possibilité de choisir d'autres voies, et que certains leaders de la théorie des cordes soient à ce point assurés de la domination sociologique, qu'ils puissent dire : ‘si une autre théorie réussit là où nous avons échoué, nous l'appellerons théorie des cordes’. »
Jean-Pierre Petit, initiateur d’une cosmologie alternative et féconde [1], a souligné peu après : 
« Même pour quelqu'un comme Woit  [4], une idée nouvelle ne pourrait émerger que "du sérail", de l'université de Columbia, ou de Princeton. Comment pourrais-je, moi, Français, retenir une seule seconde l'attention de ces gens ? »
Philip Anderson, prix Nobel de physique, a lui écrit à propos de la théorie des cordes : 
« Ce que je pense c'est que c'est la première fois depuis des siècles qu'une qu'on se trouve en science face à une démarche pré-Baconienne, qui n'est pas guidée par l'expérimentation. On propose un modèle de la Nature en souhaitant qu'elle s'y conforme et non en cherchant à s'approcher plus près du réel. Il est peu probable que la Nature se conforme à ce qui n'est autre qu'un souhait de notre part.

    Ce qui est triste, comme certains jeunes théoriciens me l'ont expliqué, c'est que ce secteur est si développé que c'est devenu une activité à plein temps, auto-suffisante. Ceci signifie de d'autres directions ne seront pas explorées par de jeunes chercheurs imaginatifs et que toute carrière tentant de se situer en dehors de ce domaine sera bloquée. »
On constate combien le parallèle avec les dogmes de l’économie néolibérale est frappant.

II / le débat en Économie

Le professeur Jacques Généreux a dénoncé en 2001 dans les Vraies Lois de l’Économie [5] la dérive scientiste du courant néolibéral, dominant en économie [6]. Il montre surtout par une simple étude bibliographique combien tous les éléments les plus fondamentaux de la théorie néolibérale (équilibre général des marchés initié par Walras) sont contraires à la réalité (homogénéité des produits, rendements factoriels constants, concurrence pure et parfaite, absence de cout fixe de production, équivalence de tous les acteurs, mobilité instantanée des personnes, absence de prise en compte du temps, et aussi atteinte de l’équilibre entre offre et demande par tâtonnement du marché…). Ces résultats ont été publiés depuis la fin des années 70 pour la plupart. Pourtant, combien d’économistes et de décideurs travaillent encore en utilisant ces conceptions dépassées ?

La discipline de l’économie doit rendre au final un seul service : celui de l’aide à la décision, en proposant des outils conceptuels performants pour anticiper les situations à venir. Généreux, et Granger avant lui, ont argumenté qu’il n’existe pas de lois en économie au même sens que les lois en physique. En économie, les seules lois valables sont les lois décidées par les hommes. D’où la nécessité de développer l’économie politique. Les lois du marché ne sont en réalité que des croyances.

Nous pouvons reprendre le discours qu'a récemment écrit le professeur Jean Gadrey à propos de la crise faisant rage dans la discipline de l'économie [7] pour l’étendre au domaine scientifique (au moins dans les disciplines mentionnées ici), ce qui donne :

« Le débat, de nature collective, devrait se dérouler d’une part au sein des associations de scientifiques, d’autre part dans tous les lieux, services publics, médias et associations où la démocratie scientifique et l’information scientifique sont considérées comme des biens communs à défendre.
Je crois en effet que les principales questions s’expriment moins en termes de conflits d’intérêts (bien que cette question reste à débattre) qu’en termes de PLURALISME, DE CONNIVENCE et de FORMATION DES CROYANCES SCIENTIFIQUES. Elles relèvent de la sociologie, des sciences politiques, de la philosophie morale et politique, de l’éthique professionnelle, plus que du droit et de la science.»

Un premier pas vers l’établissement de nouveaux lieux de discussions en économie est réalisé depuis mai 2011 avec la World Economics Association. [8] Signe d'une transparence accrue, il annonce à mes yeux une nécessaire et attendue démocratisation de la science.

III / Le développement des nouvelles sources d’énergie

Pour terminer, dans le domaine des nouvelles énergies, qui est sans doute le plus directement à même de modifier rapidement notre conception de l’avenir de l’humanité, les nouvelles idées porteuses peinent aussi énormément à émerger, victimes de groupes d’intérêts puissants. Je citerai par exemple :
  • les centrales utilisant la concentration solaire et des sels fondus caloporteurs, bien plus efficaces et écologiques que les panneaux solaires qui fleurissent, ou les centrales nucléaires ;[9]
  • la maîtrise de la magnétohydrodynamique (MHD) pour tout type de transport à vitesse hypersonique avec les technologies d’aujourd’hui; ce domaine a disparu des universités, capté pendant 30 ans par des recherches exclusivement militaires et secrètes, et commence à peine à revenir dans le domaine civil.
  • la maîtrise de la fusion par champs pulsés à haute fréquence (technologie des « Z-pinches »[10]), découverte en 2006, peut permettre une nouvelle révolution énergétique. Ce domaine de recherche est lui aussi en train de passer complètement sous le contrôle militaire mais des colloques scientifiques internationaux ont encore lieu tous les deux ans ; hélas l’Europe y est très peu représentée. Cette filière représente une alternative à ITER tout à fait intéressante, sachant que les faiblesses de conception font de ce dernier un projet sans issue (notamment à cause du phénomène des disruptions) en termes de coûts, de délai et surtout de fiabilité.[11] 
Ici en particulier, on assiste à la captation des budgets de recherche colossaux (15 milliards d’€) qui assèche les autres disciplines. Il faut défendre la voix d’idées alternatives tout à fait crédibles, dont le développement ne requiert qu'une faible fraction du budget d’ITER.

La démocratie scientifique comme réponse à la crise scientifique

Mon propos est bien de mettre en rapport la crise scientifique avec son groupe social actuellement dominant : la communauté scientifique, et de constater ses faiblesses. Les problèmes les plus aigus de cette communauté scientifique sont en résumé:
  • 1- absence de vraie confrontation ouverte des idées entre les chapelles ; au mieux chacune s'ignore et verse dans le copinage, au pire (quand une de ces chapelles devient socialement dominante) on organise honteusement la calomnie, le discrédit gratuit, la censure, l’étouffement, et l’éviction. De nombreux cas sont bien connus en France, le dernier ayant conduit cette année la justice à condamner un astrophysicien spécialiste de la théorie des cordes.[12]
  • 2- absence de vrai dialogue entre le reste de la société et les scientifiques ;
  • 3- absence de contrôle démocratique des stratégies de recherche, régulièrement aux mains de technocrates ou de décideurs à la vision très étroite. La science est un bien commun et un instrument au service des citoyens, dans les nombreux défis de l’humanité qui s’accumulent.

Au-delà de la perte profonde d'éthique scientifique d’une partie des acteurs en position dominante, c’est bien un signe que cette communauté n’est plus en état de gérer efficacement en son sein l’émergence de nouvelles idées scientifiques, de nouvelles conceptions, de nouveaux paradigmes. 
L’organisation actuelle de ce corps social est un frein à l'émergence de nouveaux modèles féconds, hélas au moment où l'humanité en a le plus besoin. Pour dénouer cette situation, un essor des réseaux scientifiques Euro-BRICS, dégagée de l’influence monopolaire anglo-saxonne et des acteurs actuels en pouvoir de blocage, est nécessaire. Il ne s’agit pas de construire de nouvelles institutions de recherche, mais bien en priorité d’offrir des nouveaux lieux d’expression, d’échanges, de traduction et de diffusion, et des nouveaux réseaux pour faire émerger des idées nouvelles sereinement débattues.

Dr. Bruno Paul, 27/09/2012


Références :

[1] a) Disponible sur Amazon en français. For english readers, most of this content is available in The Dark Side of the Universe and The twin universes. For reading this content in many others languages, please browse http://www.savoir-sans-frontieres.com ;
b) International Conference on Astrophysics and Cosmology « Where is the matter ? », Marseille, 06/2001; see also others previous related scientific publications and the 12/2007 publication about Bigravity as an interpretation of the cosmic acceleration.
[2] Livre en français ; book in english.
[3] La finitude mathématique de la théorie des cordes.
[4] Qui a pourtant lui aussi publié en 2006 un livre très critique sur la théorie des cordes.
[5] Les vraies lois de l’Économie, J. Généreux, 2001; also available in português (tome 1, tome 2).
[6] See also « Dismal science faces dismal future », ABC News, 11/2012.
[7] « Liaisons dangereuses, c’est le printemps ! », Alternatives Économiques, 03/2012.
[8] On lira en particulier l’article fondateur de la WEA : How to bring economics into the 3rd millennium by 2020”, real-world economics review, issue no. 54, 27 September 2010, pp. 89-102.
[9] a) Des générateurs de vapeur solaire sont déjà commercialisés par AREVA ;
e) Concentrated solar power, Wikipedia.org
[10] Controled fusion using Z-machine : first scientific papers in english.
[11] « ITER, Chronique d'une faillite annoncée », JP Petit, 10/2011 ; also available in english, espanol, italiano, russe.
[12] « Bogdanoff et parquet versus Riazuelo: le jugement », Science21/Courrier International, 04/2012


2011/10/27

Les 2 prix du pétrole

 La dislocation du monde depuis le début de la crise vaut aussi pour le prix du pétrole. Il est néanmoins frappant de constater à quel point, ainsi que de voir que personne n'en parle, ou alors en terme de simple "anomalie transitoire". La FTC ne semble enquêter que sur les fluctuations de prix et la suspicion de leur manipulation, et moins sur les écarts entre index.

Commençons par regarder les 2 index principaux de ce marché du pétrole, depuis 1 an glissant: à ma gauche le WTI Crude, et à ma droite le Brent Crude.


Alors que l'historique de ces index montre habituellement un écart d'environ 1%, depuis fin février 2011 le WTI a dérivé en quelques semaines pour se situer 20 à 25% moins cher que le Brent. Alors que le Brent persiste depuis cette date au-dessus du palier de 100$, le cours du WTI cherche à s'en éloigner. C'est un comportement extraordinaire pour deux matières premières aussi similaires (et ceci même si l'on compare des bruts avec des densités API équivalentes), si on croit aux vertus des marchés "purs et parfaits" !
Outre l'écart des prix de ces index, c'est bien aussi la durée de persistance de cet écart qui doit être expliquée - si vraie explication il y a, c'est à dire si elle est communicable en toute transparence. Vu le silence assourdissant des spécialistes en place qui se bornent à dire que "le WTI a perdu son statut d'index de référence", nous pensons au contraire que c'est une affaire d'opacité, d'occultation, et qu'il ne faut pas attendre d'explication que l'on ne soit pas allé chercher soi-même.
Cherchons des similitudes: à quoi raccrocher l'index WTI? Aux USA, d'après la définition donnée par Wikipedia. On peut alors s'intéresser aux autres index des bourses au pétrole dans le monde
(note: cette page de l'EIA a ensuite été modifiée en 2012 et ne fait plus apparaître les informations, mais on peut trouver une archive. La nouvelle page (également ici) ne fait désormais apparaître qu'une petite "sélection" de bruts. Remarquons aussi que de nombreux prix, même si ils datent d'une année, sont "Withheld to avoid disclosure of individual company data". On appréciera ici la transparence du marché du pétrole, qui est pourtant une caractéristique essentielle au concept de marché).

Et on remarque immédiatement que :
  • la plupart des index évoluent avec une faible différence entre eux, sur toute la durée de l'historique, y compris par rapport à la moyenne de l'index composite de l'OPEC. Les variations plus importantes, dues à des ruptures logistiques, ne durent pas.
  • les seuls index présentant un autre comportement sont ceux du Canada, et du Mexique
  • et ces derniers présentent cet écart exactement depuis juillet 2008, date du plus haut sommet des prix du pétrole, avec une tendance nettement accélérée depuis fin février 2011 :


note: Ces images ont ensuite été retirées du site web de l'EIA en 2012. Je les remplace par les copies suivantes, mais qui ne présentent l'historique que jusqu'à fin 2008. Cliquez sur le lien pour voir l'historique complet de chaque index. ]

Mexico Maya Spot Price FOB (full history with monthly data)



Canadian Par Spot Price FOB (history of Lloydmonster prices with monthly data)
(cliquez pour agrandir)

Ces 3 index représentent une partie très importante (28%) de l'approvisionnement en pétrole brut des USA. Le Canada est le premier fournisseur de pétrole des USA en volume, et le Mexique le 3ème. A cette part il faut rajouter la production locale des USA, au prix du WTI, équivalente à 60% des importations de pétrole brut. La facture pétrolière des USA est donc d'au moins 20% plus faible que s'ils se fournissaient au prix normal du spot, comme les autres pays. Pour un cours moyen à 100$ le baril cela représente une économie d'environ 107 milliards USD par an en ne comptant que le pétrole brut, au détriment en partie des revenus du Canada et du Mexique. Ces distorsions du marché permettent d'amoindrir les hausses du prix à la pompe, et une inflation qui reste galopante dans un pays aussi consommateur :

 (cliquez pour agrandir)

On peut donc bien définir deux zones géographiques qui partagent le monde, chacune avec un prix du pétrole sensiblement différent. L'Amérique du Nord d'un côté avec un prix artificiellement bas, et de l'autre côté le reste du monde avec un prix sensiblement plus élevé. Et on comprend que, apparue lors du franchissement de la barre symbolique des 3$ le gallon, "l'anomalie" du WTI ne va pas disparaître puisqu'il s'agit de maintenir par ce biais gigantesque le prix à la pompe le plus bas possible. Ceci expliqué, vous pourrez regarder les jolies explications de l'EIA d'un autre oeil.
(Note: depuis ce billet, l'EIA - qui consulte Conscience Sociale - diffuse des informations complémentaires tous les deux mois sur les prix)

Mise à jour 6/1/2013 :
ajouts des notes, MAJ des liens et images

Mise à jour 28/6/2013 :
suivi du spread BRENT-WTI au quotidien (en %, échelle de droite; échelle de gauche: prix du WTI) :



2011/06/20

Homo Politicus et le printemps qui démantela le nucléaire

 Ecoutez cet homme, un français expatrié au Japon, faire preuve de gravité, de colère sourde, de lucidité et d'éloquence. Il interpelle tous les français et en appelle à notre courage et notre conscience. Quand un citoyen indigné s'engage, le message politique s'impose de lui-même.






Les arguties économiques ou pseudo-stratégiques n'ont aucun sens et aucune portée face à de telles évidences de civilisation. La France ne peut pas rester à la traîne de l'Europe, et ne peut pas rester un "pays faible de ses 58 réacteurs".
La politique 2.0 c'est le retour à une expression politique brute. La transparence balaye toute langue de bois. Et de militant suiveur de parti, le citoyen devient un homme politique.
Homo Economicus n'était qu'un homoncule enchaîné. Homo Politicus est bien celui qui annonce son extinction rapide, car il est le seul adapté à notre crise du XXIème siècle.

MISE A JOUR le 20/6 à 20h :
La chaine de l'auteur (qui se surnomme Playbacklapompe, ou "Alex à Tokyo"), a été CENSUREE par YouTube/Google !! Un bel acte de refus de transparence !

On peut y lire :
"playbacklapompe : 
TOUTES MES VIDEO DE FUKUSHIMA ONT ETE EFFACEES DE YOUTUBE ???????????????????!­!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!­!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!­!
(il y a 12 heures)"

Actuellement ne sont visibles que ses autres videos bien inoffensives...

Vous pouvez néanmoins retrouver certaines de ses videos qui ont été repostées par d'autres personnes en cherchant "Alex à Tokyo" sur youtube... et pour sa derniere vidéo censurée qui s'adresse aux Français, voir ici :