2014/07/14

Demain, la chute du mur du Dollar

J'écris ce texte à Berlin, là où le Mur est tombé il y a 25 ans.[*]

Ce jour-là, le 9 novembre 1989, un nouvel horizon s'est ouvert pour tous les Berlinois. Pour la première fois depuis 1962, ils pouvaient choisir de vivre là où ils voulaient, pour le mode de vie qu'ils désiraient. La chute du Mur leur offrait enfin une alternative, un nouvel espace de liberté, aussi bien pour ceux de l'Est que ceux de l'Ouest.

Comme JFK, « Ich bin ein Berliner ». Tout humain aspire à la liberté. C'est pourquoi ces murs dressés nous concernent tous.

25 ans plus tard, un autre mur tombe. Cette fois encore, les échos de cette chute feront plusieurs fois le tour de la planète.

Demain, le 15 juillet 2014, commence à Fortaleza au Brésil le 6ème sommet des dirigeants des pays BRICS. D'autres présidents sont invités pour des rencontres les jours immédiatement suivants.

Demain sera annoncée la signature de l'acte de création de la nouvelle Banque de Développement initiée par les pays BRICS, ainsi que celles de leur Fond de stabilisation des réserves monétaires. [1a] Il s'agit de la clé de voûte de notre anticipation politique sur l'émergence réussie du monde multipolaire. [1b]

Le siège de cette Banque sera fondé à Shanghaï, et sa présidence pour 5 ans sera tournante. Ouverte aux autres pays, les BRICS conserveront au moins 55% des parts et droits de vote. Elle opérera dans les devises nationales des BRICS, dès 2015, une fois les textes ratifiés par les Parlements nationaux.  

Ces institutions sont explicitement dédiées à offrir une alternative aux institutions de Bretton Woods [2] --la Banque Mondiale et le FMI-- qui assurent l'emprise du « consensus de Washington » et l'hégémonie du système monétaire international basé sur les échanges en Dollar US, et donc la --jusqu'ici-- nécessaire accumulation de réserves de titres libellés en dollar par tous les autres pays.
C'est une condition impérative au financement du développement des pays qui veulent bénéficier des "aides" du système international, lesquelles sont de plus accompagnées d'autres conditions particulièrement intrusives pour leur souveraineté économique, suivant une doctrine ultralibérale. Les décisions de ces institutions sont entièrement verrouillées par les Etats-Unis, y compris pour la modification de leur gouvernance [3].

Ce système qui prive de liberté (« there is no alternative »), c'est celui qui a érigé le mur du Dollar.

Demain est l'annonce d'un nouveau lendemain, celui où tous les pays de la planète vont se voir enfin offrir l'alternative dont ils étaient privés depuis 70 ans, pour pouvoir financer le futur de leur choix, sans conditions intrusives muselant leur économie. Cette alternative offrant davantage de liberté va créer une attraction irrésistible pour les autres pays. A ce titre, les BRICS ont déjà noué des relations avec le G77 regroupant désormais 133 pays, c'est à dire le monde entier sauf l'Occident.[4]

Aujourd'hui nous fêtons la prise de la Bastille, le symbole de l'émancipation par rapport à l'Ancien Régime. Elle aussi fut détruite pierre par pierre.
Demain, ce qu'il faudra retenir de cette signature c'est l'annonce de la chute du mur du Dollar.

Bastille, Berlin, Fortaleza: la liberté fait tomber les murs. 

Les conséquences pour l'Europe

A l'heure où les Etats-Unis et certains des gouvernements européens oeuvrent pour dresser de nouveaux murs en Europe de l'Est, où l'on parle de séparer des populations qui vivaient ensemble en paix depuis des décennies, où le sort voulu par ces dirigeants pour l'Ukraine ressemble de plus en plus à celui de l'ex-Yougoslavie, on ne peut que constater là un mouvement rétrograde par rapport à l'Histoire. Un soubresaut tactique dans le vide stratégique de l'Occident.

Ce vide appelle à être comblé. Pour les pays européens, et pour l'Euroland en particulier, il convient de comprendre enfin quel est le vrai mouvement de fond, comment les cartes sont en train d'être rebattues par la chute du mur du Dollar, et qu'il est donc plus que temps de développer, de tisser toutes les relations pertinentes avec les pays BRICS. Il  en va de notre Histoire.
En un mot : qu'il est enfin temps pour nos pays européens de développer une stratégie Euro-BRICS.[5]

Parce que nous voulons tous être des Berlinois. Nous voulons tous être libres.


_____________________
[*] Ce texte fait suite à ma dernière intervention lors de l'Agora Newropeans le 5 Juillet à Berlin ;
[1a] Ria Novosti, 07/2014 ; Romandie.com, 07/2014 ;
[1b] Nous avons été les premiers à anticiper publiquement l'impact réel de cette annonce. Voir 'Vers un nouveau système monétaire international - part 1', version EN ou FR, Conscience Sociale, 2013 ; 4ème séminaire Euro-BRICS, L.E.A.P., 2013 ; 
[2] Voir par exemple PressTV, 03/2013 ; La Voie de la Russie, 07/2014 ;
[3] Voir par exemple ‘FMI: La réforme de l'institution reste bloquée par Washington’, Les Echos, 01/2014 ;
[4] Courrier International, 06/2014 ;
[5] Cette analyse stratégique a été élaborée en tout premier par Franck Biancheri et le L.E.A.P., ce qui constitue à nouveau une anticipation politique dont l'écho est historique.


2014/07/01

Déclaration conjointe Euro-BRICS sur la crise ukrainienne - Trois propositions stratégiques

[republiée à partir du site Euro-BRICS du L.E.A.P.]

Nous [1], soussignés, membres de la société civile en Europe et dans les BRICS (chercheurs et professeurs universitaires, responsables de groupes de réflexion, journalistes, dirigeants d’entreprises, représentants de la société civile), souhaitons exprimer notre inquiétude commune quant aux tendances enclenchées par  la crise en Ukraine. Ces tendances ont une incidence sur la communauté internationale, menacent entre autre la souveraineté de l’Ukraine et l’indépendance de l’Europe, et provoquent une polarisation malvenue du système international avec des répercussions sur un équilibre géopolitique toujours fragile.
Nous voulons rappeler qu’une transition historique est en cours entre un monde unipolaire avec les Etats-Unis comme seule superpuissance et un monde multipolaire, transition qui doit être soutenue plutôt que contenue. Le monde entier, y compris l’Europe et les Etats-Unis, a tout à gagner à participer ensemble à la réorganisation d’une gouvernance mondiale fondée sur la multipolarité.
Nous tenons à réaffirmer notre analyse[2] selon laquelle l’Europe est en mesure de contribuer positivement à l’émergence pacifique d’un monde multipolaire. En effet, la crise ukrainienne a montré que, alors qu’une Europe indépendante et ouverte contribue à l’émergence d’un monde multipolaire, une Europe unilatérale créé les conditions mêmes d’un monde polarisé entre un bloc occidental et les nouvelles puissances mondiales.
Par conséquent, nous désapprovons fermement l’interruption des relations euro-russes et ses conséquences négatives sur les relations Euro-BRICS porteuses d’avenir. Nous sommes en total désaccord avec le déploiement de troupes des deux côtés de la frontière euro-russe et en particulier de troupes militaires américaines sur le territoire de l’Europe. Nous nous opposons à l’accroissement de tensions provoqué par le caractère non-concerté des politiques de libre-échange européenne et russe au niveau de pays frontaliers communs tels que l’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie, etc…
Nous considérons que la crise ukrainienne nécessite la mise en place d’un espace diplomatique destiné à débattre des droits de l’Europe et de la Russie à organiser leurs marchés communs et des moyens pour que ces marchés coexistent pacifiquement.
Nous tenons également à remarquer que la situation d’urgence humanitaire en Ukraine ainsi que les crimes et les exactions commises contre les populations civiles pendant la crise ukrainienne doivent être traités rapidement et faire l’objet d’enquêtes.
Nous estimons que le cadre de la coopération Euro-BRICS est susceptible de fournir la médiation appropriée  pour atteindre un résultat positif.

La situation requiert un sens élevé des responsabilités historiques et de l’intérêt collectif de la part des dirigeants du monde. C’est à ce sens que nous faisons appel à travers cette déclaration :
**  PARTAGER LES RESPONSABILITES COMME PREALABLE – Nous avons convenu que les responsabilités liées à la crise en Ukraine doivent être partagées entre l’Europe et la Russie. Ce n’est que sur cette base de reconnaissance mutuelle des responsabilités de chaque acteur que la paix en Ukraine pourra être reconstruite et les relations euro-russes relancées.
**  RELANCER LES RELATIONS EURO-RUSSES POUR CREER LES CONDITIONS D’UNE SORTIE DE CRISE MENEE PAR L’UKRAINE – Il appartient aux Ukrainiens de s’organiser et de reconstruire la paix en Ukraine. Cependant, les tensions entre les Ukrainiens pro-russes et pro-européens ne se désamorceront pas si les tensions entre la Russie et l’Europe ne se désamorcent pas en prier lieu. Par conséquent, au nom de la paix en Ukraine, nous appelons les dirigeants européens et russes à relancer un dialogue constructif. Par ailleurs, nous  souhaitons encourager les médias à fournir une information plus objective et à corriger toute désinformation susceptible de mener à de futurs conflits.
**  UN SOUTIEN EURO-BRICS A L’EFFORT DE SORTIE DE CRISE – En guise de contribution à encourager et soutenir l’effort euro-russe pour la relance d’un dialogue de sortie de crise, nous appelons les dirigeants Euro-BRICS [3] à convoquer très rapidement [4] le premier “sommet  Euro-BRICS pour l’Ukraine » qui aura pour objet d’établir les causes, d’identifier les solutions et de contribuer à mettre en place les conditions politiques et diplomatiques pour une résolution souveraine de la crise ukrainienne et pour la prévention de crises similaires avec d’autres États frontaliers euro-russes à l’avenir.

Ont signé la présente déclaration, les personnes suivantes, représentantes de la société civile en Europe et dans les BRICS (professeurs universitaires, chercheurs, dirigeants de groupes de réflexion, journalistes, représentants d’entreprises) par ordre alphabétique :
. Adriana Abdenur – Professeur, Institut des Relations Internationales, PUC-Rio, Rio de Janeiro, Brésil
. Jean-Paul Baquiast – Honorary State controller / Editeur de www.europe-solidaire.eu, Paris, France
. Marie-Hélène Caillol – Présidente LEAP/E2020 (Laboratoire européen d’Anticipation Politique), Paris, France
. Jayanthi Chandrasekharan – Assistant Professor, Département de français, Loyola College, Chennai, Inde
. Jose-Maria Compagni-Morales – Président FEFAP (Fundación para la Educación y Formación en Anticipación Política), Associate Professor IE Business School, Séville, Espagne
. Taco Dankers – Entrepreneur, software engineer, Dankers & Frank, Consulting and Software Engineering, Amsterdam, Pays-Bas
. Baudouin De Sonis – Executive manager, e-Forum & EU-China-Forum / Associate director IERI (Institut Européen des Relations Internationales), Bruxelles, Belgique
. Anna Gots – Directrice financière, AEGEE-Europe / European Students’ Forum, Bruxelles, Belgique
. Harald Greib – President IRPA (Internationaler Rat fur Politische Antizipation), Hambourg, Allemagne
. Christel Hahn – Coordinatrice générale, AAFB, Allemagne
. Michael Kahn - Professor Extraordinaire, Stellenbosch University, South Africa / Director, Research and Innovation Associates, Cape Town, South Africa
. Caroline Lubbers – Project manager Euro-BRICS, Amsterdam, Pays-Bas
. Bruno Paul - Docteur es Sciences, founder of conscience-sociale.org, Paris, France
. Zhongqi Pan – Professor at Center for BRICS studies, Fudan University, Shanghai, Chine
. Sylvain Perifel – Coordinateur GEAB, Leap2020, Paris, France
. Marianne Ranke-Cormier – Présidente Newropeans, Paris, France
. Yi Shen - Associate Professor at Center for BRICS studies, Fudan University, Shanghai, Chine
. Suyuan Sun – Research Associate at Center for BRICS studies, Fudan University, Shanghai, Chine
. Veronique Swinkels – Directrice Générale, BBK/Door Vriendschap Sterker, Amsterdam, Pays-Bas
. Alexander Zhebit – Professor of International relations, Universidade Federal de Rio de Janeiro, Brésil
. Jiejin Zhu - Associate Professor at Center for BRICS studies, Fudan University, Shanghai, Chine


[1] Cette déclaration commune a été prise à l’issue d’une vidéo-conférence historique, organisée le 27 mai par LEAP en partenariat avec FEFAP et en collaboration avec l’Université Fudan de Shanghaï, qui a réuni 28 représentants d’Allemagne, Brésil, Chine, Espagne, France, Inde, Pays-Bas, Russie et Ukraine, sur le thème suivant: “L’impact de la crise ukrainienne sur les relations Euro-BRICS – Un échange de points de vue Euro-BRICS sur la crise ukrainienne en vue de solutions possibles”. Les points de convergence ont été frappants et ont conduit le groupe à rédiger cette présente déclaration conjointe.
[2] Le LEAP et MGIMO ont initié le concept Euro-BRICS en 2009 comme cela a été établi dans ce document: Why Euro-BRICS? Ou ici: Concept of the 4th seminar
[3] Au moins M. Hollande, Mme Merkel, M. Modi, M. Poutine, Mme Rousseff, M. Xi, M. Zuma.
[4] Idéalement, en marge du Sommet BRICS qui doit se tenir au Brésil mi-Juillet; au plus tard, début 2015.